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souvenir qu’à ce moment les uns disaient que « le nord se battait pour l’empire, le sud pour l’indépendance, » les autres qu’il n’y avait entre les deux partis du nord et du sud que des questions économiques, des questions de tarifs. Le respect que le président Lincoln professait pour la constitution permettait encore à tous de dire que la guerre ne pouvait émanciper les esclaves. En somme, l’Europe était comme toujours suspendue aux événemens ; elle n’avait pas d’oreilles pour ceux qui comme Motley entreprenaient de les devancer dans leurs jugemens.

Motley retourna le plus vite possible en Amérique, mais peu après son retour, M. Lincoln le nomma ministre plénipotentiaire à Vienne. Il y resta pendant six ans, assistant de loin au grand drame de la guerre américaine : isolé, sans confidens à qui il pût ouvrir les replis d’un cœur facilement traversé de crainte et d’espérance. Vienne est plus loin peut-être de Washington qu’aucune autre capitale d’Europe ; les ministres avec lesquels Motley eut ses rapports officiels n’avaient sans doute pour le nord que les sentimens convenables, l’intérêt théorique qu’un vieux gouvernement doit ressentir pour tout gouvernement établi.

La seule affaire d’importance qui occupa Motley pendant sa résidence à Vienne fut l’affaire du Mexique. L’empereur Maximilien demanda des secours à son frère ; des volontaires furent enrôlés à Trieste, quand arriva une dépêche de M. Seward qui ordonnait au ministre d’Amérique de demander ses passeports, si ces troupea partaient pour Mexico. Le comte Mensdorf empêcha le départ des volontaires, et l’incident n’eut pas d’autre suite.

Pendant son séjour à Vienne, Motley entretenait une correspondance suivie avec Holmes. Celui-ci en cite des passages qui peuvent aujourd’hui être publiés. Motley s’y montre très désireux de voir adopter la politique d’émancipation. « Le sud, dit-il, en se mettant en guerre avec le gouvernement des États-Unis, a mis dans nos mains contre notre gré l’arme invincible dont des raisons constitutionnelles nous avaient jusqu’ici empêché de nous servir… La question se pose ainsi devant nous : Est-ce l’esclavage qui périra, ou est-ce la grande république ? .. Si nous sommes vaincus, nous méritons notre sort. Au commencement de la lutte, les scrupules constitutionnels pouvaient être respectables, mais aujourd’hui nous nous battons pour subjuguer le sud, c’est-à-dire l’esclavage. Nous ne nous battons pas pour autre chose, que je sache. Nous nous battons pour l’Union, et qu’est-ce qui menace l’Union ? Le maître d’esclaves, personne autre. Allons-nous dépenser 1,200 millions et lever six cent mille hommes pour protéger l’esclavage ? »

Toutes ses pensées étaient en Amérique : les salons de Vienne n’avaient que sa personne, il ne s’intéressait guère un peu