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dans le mariage, car elle reprit avec son imperturbable sérieux :

— C'est précisément mon avis, William, d’autant plus, vois-tu, que, sentant ce qui me manque, je suis résolue à faire tous mes efforts pour donner à M. Forbes des compensations que je ne lui aurais pas dues, si j’avais mieux répondu à ses sentimens. Elle soupira. Peut-être la perspective de ce qu’elle avait à faire pour arriver au degré de perfection qu’elle se proposait d’atteindre effrayait-elle un peu son jeune courage.

Tante Marie entra sur ces entrefaites, et sa présence mit fin à notre entretien. Je sortis pour fumer un cigare, et jusqu’au lendemain je ne revis plus la pauvre fillette.

Jane se montra tout à fait à son avantage en costume de mariée : elle paraissait jolie, ma foi, et même heureuse. M. Forbes, élégant et beau comme toujours, était peut-être un peu pâle. Bien qu’il se fût tiré avec une aisance parfaite de l’ennuyeuse cérémonie, il sembla soulagé d’un grand poids quand tout fut fini, et reçut nos félicitations avec une satisfaction visible. On déjeuna tard. A table, il me parut préoccupé. L’air agité de Jane ne m’échappa point non plus ; cependant je n’en tirai aucune conséquence jusqu’au moment où elle vint me rejoindre dans la bibliothèque pour me dire adieu. Mais là, quand, au lieu de me tendre amicalement la main, elle se jeta brusquement à mon cou et fondit en larmes, je commençai à m’alarmer tout de bon.

— Jane, ma chère enfant, que t’arrive-t-il ? dis-je avec inquiétude.

— Il faut donc que je parte, sanglota-t-elle. Oh ! mon cousin !.. Elle fut incapable d’en dire davantage. Partir ! Mais il y avait longtemps qu’elle devait y être préparée, et ce n’était pas l’idée de cette séparation qui pouvait lui causer un pareil désespoir. Somme toute, je ne pus rien tirer d’elle, d’abord parce qu’elle ne voulait pas parler, et en second lieu parce que le temps manquait pour la confesser ; déjà on l’appelait de tous côtés.

— Je viens, je viens, cria-t-elle en s’arrachant à mon étreinte et en affectant une voix enjouée.

Je la suivis. M. Forbes l’aida gracieusement à monter en voiture, se plaça auprès d’elle, et tout fut dit. Ma petite cousine Jane, Mme Forbes maintenant, était perdue pour nous.

II.

Peu de temps après le mariage de Jane, mon père vint à mourir ; quant à tante Marie, les médecins lui avaient ordonné un séjour