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oublier que c’était moins de la domination que de la protection romaine qu’il parlait aux chefs qu’il voulait séduire. Seulement il fallait une bonne dose de naïveté ou de confiance en sa propre habileté pour ne pas comprendre que la protection de Rome entraînait la perte de toute indépendance sérieuse.

César eut avec lui, tout le temps des guerres gauloises, un certain nombre d’affidés qui, séduits par ses dons ou nourrissant quelque arrière-pensée qu’il sut utiliser, lui fournirent le plus précieux des concours. Outre les trois rois que nous venons de citer, il eut pour partisans déclarés le Rème Vertiscus, le Trévire Cingétorix, l’Éduen Convictolitavis, le Vergobret Liscus, admis à ses conseils, le Picton Duratius, les Arvernes Epasnactus et Vertico, l’Helvien Dumnotaurus, le traître Éduen Viridomare, surtout le druide Divitiac. Il est consolant de pouvoir à cette liste peu glorieuse opposer celle des patriotes courageux et fiers tels que le Sénon Accon, que César fit mourir, le Trévire Indutiomare, l’Aulerque Camulogène, le Lémovice Asedullus, l’Arverne Époredirix, le Bellovaque Correus, tous morts au champ d’honneur, le Sénon Drappès, qui se laissa mourir de faim, l’Andecave ou Angevin Dumnacus, qui s’exila à l’extrémité de la Gaule, le Cadurque Luctère, défenseur d’Uxellodunum, qui fut livré enchaîné à César, Ambiorix enfin et Vercingétorix, en qui vécut l’âme de la patrie gauloise. L’un, quand tout fut perdu, s’enfonça dans les profondeurs des Ardennes pour ne pas être témoin de la domination étrangère ; l’autre expia par la prison et le supplice l’honneur d’avoir mis en péril la fortune de César. Ajoutons que Commius, le roi imposé aux Atrébates, s’aperçut enfin des vrais desseins du protecteur prétendu, se déclara pour la cause gauloise lors de la grande prise d’armes de Vercingétorix, et, vaincu, ne pouvant plus supporter la vue d’un Romain, alla cacher ses regrets et sa douleur dans l’île de Bretagne. Il ne faut pas que l’oubli soit la récompense de ces vaillans hommes qui sont nos vrais ancêtres, les précurseurs de la France. Car, ne nous lassons pas de le redire, la France n’est autre chose que la vieille Gaule, modifiée sans doute, mais en réalité se ressaisissant elle-même et se dégageant du double revêtement romain et germain appliqué sur elle par la conquête et l’invasion.

M. Desjardins pense, et nous sommes aussi de cet avis, qu’il ne faut attacher qu’une foi médiocre au portrait en quelque sorte stéréotypé que les écrivains de l’antiquité nous ont laissé des Gaulois, comme s’ils avaient tous été de haute taille, d’un blond ardent, d’un aspect terrible. C’est là un type de convention qui date du temps où les Romains ne connaissaient qu’un petit nombre de peuplades gauloises chez lesquelles ce type en effet peut avoir prédominé. Il est