Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/887

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gaule de plus profondes racines. On connaît la poétique légende de la fondation de Marseille, d’après laquelle le chef grec Protis reçut de la belle Gyptis, fille du roi ségobrige, la coupe qu’elle devait offrir ce jour-là à celui qu’elle favoriserait de ses préférences. Les bons rapports ne durèrent pas toujours entre Grecs et Ligures. Les Marseillais, toujours habiles dans le choix de leurs alliés, obtinrent contre ceux-ci le secours des bandes gauloises qui, sous la conduite de Bellovèse, passaient en Italie. Marseille eut pour rivale naturelle Carlhage et fut mainte fois en guerre avec elle. On est toutefois étonné de voir qu’elle n’ait pas mieux profité de la ruine irrévocable de sa concurrente. Du reste, Marseille se vit entourée d’assez nombreuses filles : Agde, Arles, Avignon, Cavaillon, Tarento, aujourd’hui ruinée, Nice, Antibes, furent des colonies ou du moins des dépendances de Marseille. L’intérêt commercial, aussi bien que la sagesse politique, lui fit toujours rechercher l’alliance romaine. Elle était le grand port d’exportation de la Gaule, et Rome était son principal débouché. D’autre part, elle aimait à se prévaloir de l’amitié romaine contre les Gaulois et les pirates. C’est à l’alliance marseillaise que les Romains durent de pouvoir aisément conquérir l’Espagne. Bien que très prospère, l’ancienne Marseille n’occupait cependant pas plus de la cinquième partie de la moderne.

Nous arrivons enfin à l’élément ethnique prépondérant, à celui qui a fini par s’assimiler ou s’associer tous les autres, aux Celtes ou Gaulois. C’est avec un vrai sentiment des réalités de l’histoire que M. Desjardins s’élève contre ces théories naïves qui se représentent les nationalités anciennes comme émergeant tout à coup, toutes formées, des profondeurs de l’histoire et arrivant à l’état compact et homogène sur le territoire qui leur doit son nom historique. Les nations passent par une longue genèse et doivent s’assimiler bien des élémens hétérogènes pour grandir. Il faut donc rejeter de l’histoire, telle qu’on la doit faire aujourd’hui, ces données quelque peu puériles qui nous représentent les Gaulois établis comme chez eux en Gaule dès le XVIe siècle avant Jésus-Christ. Ce qui est vrai, c’est qu’il se forma lentement une nationalité gauloise qui commençait seulement à prendre conscience d’elle-même lorsqu’elle fut écrasée pour longtemps par la conquête romaine. Il y eut d’abord des tribus isolées de race gauloise ou cette qui vinrent, l’une après l’autre, des régions danubiennes et rhénanes, trouvèrent probablement des tribus congénères déjà établies avant elles, finirent par occuper en nombre suffisant les terres cultivables, et c’est à la suite d’alliances, de guerres, d’expériences et de souffrances communes que de la Manche à la Méditerranée,