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mer recouvrant autour de ses rives une étendue de terrain au moins égale à son ancienne superficie. Les Hollandais, qui lui ont repris de nos jours le lac de Harlem et l’Y (prononcez l’Ey) songent sérieusement à reconquérir une partie importante du territoire submergé.

La Moselle, chantée par Ausone et Fortunatus, attira de bonne heure l’attention par la beauté verdoyante de ses rives et la limpidité de ses eaux poissonneuses. La Seine, Sequana', puis Secana, fut très appréciée par Julien, qui aimait son cours régulier, son étiage jamais ni trop haut ni trop bas, et ses eaux remarquablement pures. Ce dernier trait prouve entre autres choses que les fleuves aussi peuvent avoir leur histoire. Il se pourrait, bien que cela reste douteux, que l’embouchure de la Seine eût dans l’antiquité, comme celles du Rhin et de la Garonne, un nom distinct. Son estuaire se serait appelé le Géon, et ce nom pourrait bien désigner la nature marécageuse du terrain de la basse Seine antérieurement aux travaux d’endiguement[1].

Sans parler des cours d’eau de moindre importance qui sillonnent notre pays au nord-ouest et dont on a retrouvé presque tous les noms latins calqués sur d’anciens noms celtiques, passons à la Loire (Liger), dont Tibulle chanta, sans doute de confiance, les ondes azurées, — car elles sont plus jaunes que bleues, — et dont Lucain vantait la placidité, ce qui prouve qu’il ne la voyait pas tous les jours. Nous parlerons plus loin de son embouchure, mais nous pouvons déjà signaler une île qui se trouvait en avant de son estuaire et que l’on appelait l’île des femmes Namnètes. Cette île préoccupa beaucoup, les anciens et les modernes. Elle servait de sanctuaire à un culte mystérieux, bizarre, sans analogie avec le druidisme, que des femmes célébraient avec des cérémonies orgiastiques, loin du commerce des hommes. Pourtant elles se rendaient d’elles-mêmes à bord des navires qui passaient en rade pour y chercher d’impudiques hommages et elles allaient aussi sur la terre ferme dans le même dessein. On a voulu chercher bien loin les origines de ce culte étrange, y voir une transplantation de mystères orientaux, peut-être du culte des Cabires, sans réfléchir qu’on ne connaissait guère le prosélytisme dans la haute antiquité et que les religions de la nature ont un peu partout poussé la dévotion jusqu’à l’immoralité la plus dévergondée. Nous verrons bientôt ce que cette île est devenue.

Quant à la Garonne, elle doit avoir changé très peu de régime, sauf toujours pour ce qui concerne son embouchure, puisque, d’après Strabon, elle avait 200 stades de cours navigable, c’est-à-dire

  1. On peut le rapprocher du bas-breton Geûn, marécage.