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Le professeur allemand sait aussi pourquoi l’on vient à son cours et ce qu’on y veut trouver. Assurément on ne lui demande pas d’être éloquent ou spirituel, et l’on serait très surpris qu’il cherchât à l’être. L’étudiant ne veut pas être amusé ; il tient à ne pas perdre son temps. Le triennium est son apprentissage. Il fréquente les cours en vue d’acquérir les connaissances dont il aura besoin dans la carrière qu’il va parcourir à son tour. Cet étudiant d’ailleurs est déjà un homme positif. Sans nul doute il aime la science, mais c’est surtout comme instrument professionnel qu’il l’aime. Il y a chez lui un peu de ce que nous remarquons chez ceux de nos jeunes gens qui se préparent aux examens ; dans la science et dans l’érudition il cherche surtout ce qui lui sera utile. Il n’exige donc du professeur ni recherches délicates ni vues élevées. Le gros de la science lui suffit. Il ne demande que d’être mis au courant[1]. Pour cela, il ne veut pas se donner une peine superflue. Il n’a guère l’idée d’aller lui-même chercher la science dans les livres et les documens par un travail personnel. Il sait que c’est le chemin le plus long ; ses trois années n’y suffiraient pas. Sagement, il préfère recevoir la science toute faite et au moins de frais possible. Il suit donc les cours et prend soigneusement des notes. Dans sa matinée, il assiste à cinq leçons et remplit plusieurs pages de cinq cahiers ; sa journée est faite. A la fin de son triennium, il n’aura peut-être ni lu ni réfléchi, mais il emportera un amas de cahiers qui seront son bagage pour toute la vie. De son côté, le professeur, qui connaît les désirs de l’étudiant, ne se lancera pas dans des études très approfondies, dans des recherches laborieusement personnelles, dans de minutieux détails sur des points scrupuleusement étudiés. « Il laisse de côté ses études spéciales pour mettre à la portée de ses auditeurs les élémens de la science. » Il ne veut pas non plus se donner une peine dont on ne lui saurait pas gré. Il rédige à son usage une série de cahiers qui contiennent la science qu’il est chargé d’enseigner et dans la mesure qu’on lui en demande. A chaque leçon, il apporte son cahier et il lit. Ses cahiers sont pour deux ou trois ans ; quand il a fini, il recommence. L’étudiant écrit presque sous la dictée, et la science passe ainsi des cahiers du professeur sur les cahiers de l’étudiant.

On devine bien qu’il y a des exceptions à cette règle. Quelques professeurs improvisent. Il en est même qui, debout au pied de leur chaire, la parole ardente, le geste vif, semblent des orateurs et se font applaudir comme s’ils étaient en France. Plusieurs d’entre eux, députés au Reichstag, parlent en chaire comme ils parleraient

  1. Rapport sur l’université de Göttingue, p. 185.