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grand nombre d’Anglais imbus des idées qu’on rapporte de l’Inde. On sait que dans l’Inde les emplois publics sont divisés en deux classes : les petits emplois, ceux qu’on a appelés l’unconvenanted service, sont laissés aux indigènes, mais tous les emplois qui ont de l’importance sont confiés à des Européens. On sait de plus que les Anglais n’ont trouvé qu’un moyen de mettre un terme aux déprédations des fonctionnaires européens, c’est d’élever à un chiffre considérable le taux de leurs traitemens. Ce système ayant parfaitement réussi dans l’Inde, n’était-il pas tout simple de l’importer en Égypte ? D’un caractère très bienveillant, n’ayant rien de la rudesse et de la morgue de quelques-uns de ses compatriotes, incapable d’appliquer les procédés violens, mais susceptible de tolérer les faiblesses de l’administration anglaise dans l’Inde, M. Wilson n’avait pas le courage de se défendre contre des sollicitations qui, après tout, ne manquaient point d’une certaine justesse. Les administrateurs égyptiens sont si mauvais qu’il n’y avait rien de trop choquant à les voir disparaître ; mais on affirmait que leurs successeurs anglais n’étaient pas toujours beaucoup plus éclairés ni beaucoup plus dévoués qu’eux. Ils étaient pourtant payés deux, trois, quatre fois plus ! Ces malheureux changemens avaient le double inconvénient d’irriter profondément les indigènes et de blesser non moins profondément les autres colonies européennes, indignées de ne pas partager les faveurs qui pleuvaient sur la colonie anglaise. Il faut l’avouer, l’invasion des administrations financières par des agens anglais a été la première, la principale cause de la chute du ministère européen. Lorsqu’on s’en tenait à la réalité, le mal n’était pas bien grand ; mais dans aucun pays peut-être la réalité n’est plus complètement défigurée qu’en Égypte par l’imagination publique. Deux ou trois nominations malencontreuses avaient suffi pour qu’on en inventât mille. Chaque matin les journaux arabes publiaient la nouvelle d’une prétendue hécatombe de fonctionnaires égyptiens sacrifiés à des fonctionnaires anglais. Ils se livraient aux calculs les plus remplis de fantaisie sur les appointemens de ces derniers. A les croire, le seul budget du ministère des finances coûtait plus que celui de l’état tout entier. Les journaux français, italiens et grecs ne racontaient pas des nouvelles moins extraordinaires. C’était toujours un Anglais de plus qui arrivait en Égypte ignorant également le français, l’arabe, l’italien, les trois langues politiques du pays, l’administration, les finances, le droit, etc. Il recevait tout de suite un traitement qui s’élevait de 80 à 100 livres sterling au minimum ; mais il demandait plusieurs mois de congé, — de congé payé bien entendu, — pour apprendre au moins une des langues usitées en Égypte et pour se mettre un peu au courant des travaux qu’il devait faire. Ces