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n’avoir presque plus de contribution foncière à supporter. Cela leur a été d’autant plus facile qu’on leur a permis d’acquitter la moukabalah avec des bons du trésor d’une valeur au moins contestable ou en ajournant le versement de leur impôt foncier ordinaire. L’élévation de l’impôt ouchoury et la suppression de la moukabalah étaient donc un premier pas fait, aux dépens des privilégiés, vers cette péréquation de l’impôt foncier sans laquelle il n’y aura jamais en Égypte ni ordre, ni justice, ni véritable prospérité.

Mais la confection d’un cadastre devait porter un coup plus terrible encore aux privilèges des pachas. Le khédive lui-même, je l’ai dit, aurait probablement été atteint par un cadastre. Il n’est personne en Égypte qui ne soit persuadé qu’Ismaïl-Pacha n’a pas restitué à l’état toutes ses propriétés particulières. Après avoir accepté la liste des biens fonciers du khédive, telle que la lui présentait celui-ci, la commission d’enquête a fait ses réserves au sujet des biens qui pourraient n’avoir pas été déclarés. Ismaïl-Pacha n’a jamais protesté contre ces réserves. De là des suppositions, probablement exagérées, mais qui ont à coup sûr une certaine réalité. On rencontre sans cesse en Égypte des personnes prêtes à affirmer avec une certitude invincible que l’ancien vice-roi possède encore une grande partie du sol national. Il est vrai que, lorsqu’on leur demande des preuves à l’appui de leurs affirmations, elles ne sauraient en donner ; mais, dans leur conviction, le cadastre en aurait fourni beaucoup : on aurait trouvé partout des prête-noms, des substitutions inavouées ; peut-être même, si les fellahs. avaient pris confiance, un grand nombre d’entre eux seraient-ils venus réclamer des terrains usurpés par l’effendinah, sous prétexte de dettes qui n’ont jamais été acquittées, ou d’arriérés d’impôts qui étaient dus, non au khédive, mais à l’état. Lorsqu’on veut être impartial, il est impossible de dire ce qu’il y a de vrai ou de faux dans ces bruits qui courent toute l’Égypte. On peut constater seulement qu’il n’y aurait eu qu’une manière de les faire tomber : c’était d’entreprendre en effet un cadastre sérieux. Or, à la première annonce d’un cadastre sérieux, le khédive a préparé la chute des ministres européens. Les pachas n’étaient guère moins émus que lui par cette annonce. Non-seulement leurs biens, faisant partie de la catégorie des ouchourys, ne paient qu’un dixième de l’impôt ordinaire, mais il y en a même qui ne paient rien du tout, n’étant pas inscrits dans les rôles des contributions. On n’a pas fait de cadastre en Égypte depuis la conquête turque ; il est donc facile d’imaginer dans quel désordre se trouvent ces rôles. Ils ont été dressés, arrangés, modifiés, faits et refaits à diverses époques, selon le bon plaisir de chaque gouverneur de province. Régulièrement, la