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est écrasée sous des charges de plus en plus lourdes ; il avait promis de renoncer aux anticipations d’impôts jusqu’à présent en usage : le dernier acte de son règne a été de percevoir l’impôt de l’année 1879 presque tout entier, et l’on sera obligé, au mois de novembre prochain, pour payer les créanciers, de percevoir l’impôt de 1880 ; il avait promis d’accepter toutes les conclusions de la commission d’enquête et d’exécuter toutes les réformes qu’elle avait réclamées : c’est pour sauver les abus qu’il a joué et perdu son trône. Quand il a promis de soutenir le ministère européen et de s’astreindre aux conditions d’un régime régulier, Ismaïl-Pacha pensait sans doute à ses précédentes promesses ; il se disait à lui-même qu’une de plus ou de moins c’était peu de chose, puisqu’il pourrait la traiter comme toutes les autres. C’est précisément ce qu’il a fait.


II

Si le khédive avait été parfaitement sincère dans son essai d’administration européenne, il n’aurait pu exécuter ses bonnes intentions qu’en modifiant complètement son entourage. Le nouveau cabinet devait avoir pour adversaire implacable la classe dominante dont il allait être chargé de réprimer les dilapidations. A la vérité, cette classe était peu nombreuse, puisqu’elle se composait à peine de quelques pachas turcs et d’un petit nombre de familiers du vice-roi, Européens pour la plupart, qui avaient pris la douce habitude de vivre aux dépens des contribuables et des créanciers égyptiens. Aux jours de sa prospérité, c’est une justice à lui rendre, Ismaïl-Pacha avait été aussi généreux pour les autres que pour lui-même ; il puisait à pleines mains dans le trésor public, non-seulement afin de satisfaire ses fantaisies personnelles, mais aussi afin de rassasier les nombreux appétits qui se pressaient autour de lui. Combien de Français, d’Italiens, d’Anglais, malheureux dans leur pays, avaient trouvé en Égypte une brillante situation ! Le khédive était toujours prêt à leur donner une place, un palais ; un bakchich ou une commande de fournitures. C’était une continuelle surprise pour les voyageurs, peu habitués à ce genre de mœurs, de voir au Caire ou à Alexandrie des hommes qui avaient toutes les apparences d’hommes du monde se faire fournisseurs du vice-roi et gagner à ce commerce les sommes les plus exorbitantes. Rien de plus facile que de s’enrichir, par exemple, en obtenant la charge de meubler un palais vice-royal. Avec le goût du clinquant et du luxe de pacotille qui caractérise les Orientaux, on n’éprouvait aucune difficulté à gagner jusqu’à 50 ou 60 pour 100 sur des meubles d’aspect brillant, mais en réalité absolument sans valeur. La vente de prétendus objets d’art, tableaux, bronzes, etc., était encore plus profitable. Des