Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/729

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonnes mœurs et de l’instruction. » C’est le moment de sa vie où il a été le plus semblable à ce Saint-Clair du Vase étrusque dont il trace le portrait en ces termes : « Saint-Clair était né avec un cœur tendre, et aimant ; mais à un âge où l’on prend trop facilement des impressions qui durent toute la vie, sa sensibilité trop expansive lui avait attiré les railleries de ses camarades. Il était fier et ambitieux ; il tenait à l’opinion comme y tiennent les enfans. Dès lors il se fit une étude de supprimer tous les dehors de ce qu’il regardait comme une faiblesse déshonorante. Il y réussit, mais sa victoire lui coûta cher. »

Si dans ce portrait il y a, comme je le crois, quelques traits de ressemblance, si Mérimée était né « avec un cœur tendre et aimant, » et s’il tenait à l’opinion, « comme y tiennent les enfans, » c’est-à-dire, pour parler franc, s’il était à la fois sensible et vaniteux, il serait intéressant de savoir quels incidens ont froissé sa sensibilité et irrité sa vanité. La crainte de paraître ridicule en laissant apercevoir des impressions trop vives remontait bien loin chez lui. Il se plaisait en effet à raconter une anecdote de ses premières années qui aurait eu, disait-il, une grande influence sur son développement moral. Un jour qu’après avoir été fortement grondé pour je ne sais quel méfait enfantin, il s’en allait en larmes et tout contrit, il entendit ses parens qui disaient, la porte fermée : « Le pauvre garçon, il se croit bien criminel. » La pensée qu’on riait de son émotion et de son repentir lui inspira une irritation dont il disait n’avoir jamais perdu le souvenir. Mais, malgré cette anecdote, ce n’est pas dans les épreuves d’une enfance douloureuse qu’il faut chercher le secret de cette transformation de sa nature. Personne n’a eu en effet, au début, une existence plus facile et plus douce que celle de Mérimée. Il était né au sein d’une bonne famille de la bourgeoisie parisienne, originaire cependant de Normandie. Son grand-père avait été d’abord avocat au parlement de Rouen, puis, jusqu’à la révolution, intendant du dernier maréchal de Broglie, dans le château duquel il venait souvent occuper un appartement qu’on appela longtemps « l’appartement de Mérimée. » Enfant longtemps désiré, Mérimée connut toutes les gâteries de l’éducation du foyer domestique, entre un père d’humeur débonnaire et une mère profondément dévouée à son fils unique. Mme Mérimée, artiste elle-même, femme plus intelligente que raffinée, a tenu une grande place dans la vie de son fils. Elle a vécu avec lui jusqu’à un âge très avancé, s’appliquant, par les soins dont elle l’environnait, à l’affranchir des préoccupations de la vie matérielle, auxquelles elle le savait tout à fait impropre. Mérimée la paya de retour en égards affectueux jusqu’à la fin de sa vie, et à l’époque où il était le plus recherché dans le monde, on m’a assuré que rien ne pouvait le