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l’Angleterre plus qu’à tout autre pays, on pourrait ajouter celle-ci : Parmi les Anglais qui ne sont pas pauvres, il y aura toujours un nombre considérable de mécontens. Depuis quelques mois surtout, l’Angleterre se plaint que ses affaires ne vont pas, que les banques les plus solides sont sujettes à de graves accidens, que son industrie chôme, que son commerce languit, et le nouveau tarif douanier que vient de s’octroyer l’empire germanique n’est pas propre à réjouir beaucoup les cœurs à Birmingham comme à Manchester. On assure que maint Anglais qui jusqu’à ce jour ne s’était jamais rien refusé pousse ce cri inaccoutumé et douloureux : Je ne suis plus en fonds, et je vais être obligé de réduire mon train de maison. C’est de tous les aveux le plus pénible dans un pays où l’on juge un homme sur ce qu’il possède et sur ce qu’il dépense, dans un pays où être et paraître sont la même chose, dans le pays du monde où le superflu est le plus nécessaire. A coup sûr lord Beaconsfield n’y est pour rien, et ce n’est pas sa faute non plus si les blés d’Amérique font quelque tort aux blés anglais. Il est vrai que l’esprit de parti fait flèche de tout bois. Un journal français disait dernièrement au sujet d’un orage accompagné de grêle qui avait endommagé la moisson dans un de nos départemens : « Voilà encore un des bienfaits de la république. » Il se trouvera chez nos voisins plus d’un libéral et d’un radical pour affirmer que, s’il a beaucoup plu cet été, on a le droit de s’en prendre à lord Beaconsfield, et qu’il faut lui demander compte de tous les foins qui ont été versés, de tout le froment qui a été gâté par la nielle.

Les Anglais ont un autre souci, dont lord Beaconsfield n’est pas plus responsable que de la pluie qui a pu tomber cet été. Ce noir souci, qui est accompagné d’une sorte d’humiliation, leur est causé par une vilaine incommodité qu’on a baptisée d’un vilain nom : on l’appelle l’obstructionnisme. C’est, comme on sait, un mal de provenance irlandaise, et dans l’origine ce ne fut qu’une simple indisposition, dont on était porté à rire plus qu’à pleurer. L’indisposition s’est changée en une maladie qu’on peut qualifier aujourd’hui de véritable fléau, de l’une des dix plaies d’Égypte. Il y a un ingrédient nécessaire à toute cuisine politique, mais dont la cuisine parlementaire se passe encore moins qu’une autre : c’est la bonne foi. Les Irlandais qui siègent à la chambre des communes sont peut-être des hommes d’un esprit fort délié, mais la bonne foi leur manque. Ils ressemblent à des écoliers qu’on retient malgré eux dans un pensionnat et qui s’appliquent à faire beaucoup de bruit, beaucoup de désordre, à se rendre insupportables à leurs voisins et à tout le monde, dans l’espérance qu’on leur donnera la clé des champs et qu’on les renverra chez eux. Les obstructionnistes irlandais se flattent que l’Angleterre finira par se dire : « Ces gens sont impossibles, accordons-leur un parlement à Dublin ; qu’ils s’en aillent bien vite y pérorer à leur aise, et qu’ils nous laissent