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pour ce petit havre qui fait aujourd’hui le service maritime dont le port de Fréjus est à jamais déshérité.

On ne remarque pas depuis plusieurs années un accroissement sensible dans le mouvement commercial de la région. L’importance de la pêche a même décliné sur cette partie de nos côtes, et le mouillage de Saint-Raphaël, assez ouvert du côté du large, ne présente pas des conditions excellentes comme rade de refuge. Un effectif de deux cents pêcheurs forme le fond de la population de cette petite crique dont l’avenir est moins dans le développement du commerce et de l’industrie que dans l’hivernage des riches oisifs et la vente lucrative de terrains destinés à la construction de villas de plaisance.

Peu de régions de la Provence présentent des conditions plus séduisantes de paysage et de climat. La petite ville de Saint-Raphaël est placée en dehors de la zone d’infection des marécages de Fréjus. Elle s’étend gracieusement sur la plage au pied de la chaîne sauvage de l’Estérel. De tous côtés les rochers aigus de porphyre rouge percent le sombre feuillage des chênes-lièges et des pins. La côte, bordée d’écueils, se développe en dessinant une falaise tourmentée couverte de chênes verts. Un peu au large, deux rochers fauves, semblables à des animaux fantastiques au repos, ferment la rade et reçoivent sur leur croupe allongée l’écume des vagues. Le premier est couché à quelques encablures de la côte, le second à 500 mètres en avant ; — on les nomme le Lion de terre et le Lion de mer.

Au loin, Fréjus, pauvre et triste, s’éteint dans une morne solitude. Le voile de la mort semble déjà recouvrir la campagne silencieuse et endormie. La large plaine de l’Argens se développe horizontale, verdoyante et fiévreuse ; les ruines de l’aqueduc se dessinent à l’horizon, se perdent dans le fond de la vallée et rappellent ces longues files d’arceaux et de piliers qui rayent à perte de vue la campagne déserte tout autour de la ville éternelle. L’ensemble de ce paysage méridional est beaucoup plus italien dans le sens classique du mot qu’un très grand nombre de sites célèbres en Italie. C’est le même sol, le même ciel, et la même tristesse qu’aux bords du Tibre. Les débris romains épars de tous côtés rendent l’analogie plus saisissante encore. Le port de César et d’Auguste rappelle ainsi par bien des traits, sur notre côte de Provence, les vicissitudes, la prospérité et les ruines de l’Ostie impériale et des ports de Claude et de Trajan.


CHARLES LENTHERIC