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concrète, ce qui n’exigeait de la part des ouvriers aucun talent, aucune éducation spéciale[1].

La ville antique de Fréjus est un exemple saisissant de ces procédés d’exécution rapide. Tous les édifices de la ville, les murailles de l’enceinte, les quais du port, ont été construits à la même époque, sous une seule impulsion, par les mêmes ouvriers, agissant avec les mêmes moyens, sur des mesures identiques, avec de petits matériaux taillés sur les mêmes proportions et mis en œuvre d’une manière invariable. Les pierres de taille ne manquaient pas cependant dans le pays. Les montagnes des Maures et de l’Estérel étaient voisines et auraient pu fournir des carrières inépuisables où il eût été facile de trouver des blocs d’une variété et d’une richesse incomparables. Mais il eût fallu du temps et des ouvriers spéciaux ; et, sauf les colonnes, les revêtemens de marbre et les ornemens en serpentine et en porphyre dont on retrouve quelques débris, la ville entière était bâtie en briques et en petits moellons. Il y a même plus. Partout où le rocher est apparent, on l’a utilisé pour le noyer dans la maçonnerie, de manière à économiser une partie des édifices dans lesquels il était enchâssé. C’est ainsi que la moitié de l’amphithéâtre est empâtée dans une masse rocheuse de nature volcanique, qui forme du côté du nord l’enveloppe extérieure. Même esprit d’économie pratique dans la construction de l’enceinte de la ville : la haute et longue muraille relie ’en plusieurs endroits des massifs de poudingue, dont les falaises forment une fortification toute naturelle. Partout se décèle la préoccupation de faire vite, d’utiliser tous les accidens de terrain et de reproduire des types extrêmement simples, sans aucune originalité et sans la moindre recherche d’ornementation.

Fréjus, presque entourée par les flaques boueuses de l’Argens et du Reyran, manquait d’eau potable, et l’on sait tout l’intérêt que les Romains attachaient à une abondante distribution d’eau. C’était pour eux plus que pour nous (ne craignons pas de l’avouer à notre honte) une nécessité de premier ordre. L’éloignement des sources n’était pas un obstacle ; et, dans toutes les colonies importantes, le service des eaux était peut-être, avec celui des jeux, le mieux fait, le plus assuré de l’édilité romaine. Une petite rivière, la Siagne, qui coule à plus de 60 kilomètres de Fréjus et jette ses eaux claires dans le lit encaissé du Reyran, fut presque en entier absorbée pour

  1. Les savantes études que poursuit en ce moment M. l’ingénieur Choisy ont même démontre que, dès l’empire, les Romains d’Occident s’étaient attaches à réduire les frais de cintrage et que les Romains d’Orient, et après eux les Byzantins, leurs successeurs directs, ont fait un dernier pas dans cette voie et sont parvenus à s’affranchir absolument de tout cintre.