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montait sur un navire comme sur un chariot de guerre. Tous les détails que nous pouvons connaître sur l’aménagement des bateaux antiques nous permettent d’affirmer qu’on n’y connaissait pas ce que nous appelons de nos jours la vie de bord. Les troupes, embarquées accidentellement sur les navires, descendaient à terre tous les soirs, dans des ports distans de quelques milles les uns des autres, désignés à l’avance par les itinéraires et où les flottes relâchaient avec cette prudence extrême, on peut même presque dire cette excessive timidité dont les Romains ne se sont jamais départis sur la mer et qui contraste d’une manière si singulière avec leur indomptable courage sur la terre ferme.

Toutefois, comme la conquête leur avait donné la domination du plus grand développement de côtes que jamais nation ait possédé et qu’ils étaient maîtres de tous les rivages de la Méditerranée, il était indispensable pour eux d’entretenir une flotte permanente pour exercer une surveillance sur cet immense littoral. Ils en avaient même trois principales : l’une dans la mer Adriatique ; l’autre dans la mer Tyrrhénienne, qui correspondait aux parages du Latium, de la Sardaigne et de la Sicile ; la troisième dans la mer Ligustique, le long des côtes de la Narbonnaise et de l’Ibérie.

Chacune de ces flottes avait son port d’attache, son arsenal. Le premier était à Ravenne, le second à Misène, le dernier à Fréjus. Fréjus était donc exactement à l’époque impériale l’analogue de notre port militaire de Toulon. C’était le centre de ralliement de l’escadre de la Méditerranée gauloise. On peut même croire, d’après le témoignage de Tacite, que ce port, qui avait toute la faveur d’Auguste parce qu’il avait été créé par Jules César, était le plus important des trois ; car on sait que c’est là que le vainqueur d’Antoine envoya les beaux navires qu’il avait conquis à la bataille d’Actium et qu’il considérait à bon droit comme le plus glorieux trophée de ses victoires.

Les ruines des deux citadelles qui dominent le port de Fréjus parlent dès lors d’elles-mêmes ; et, s’il est impossible de les restaurer dans tous leurs détails, il est facile de se rendre compte de leur destination première. C’étaient des magasins d’approvisionnemens pour la flotte, des salles de dépôt pour les armes, les munitions, les agrès des navires et vraisemblablement aussi des casernemens pour les soldats, qui ne couchaient jamais à bord et qui laissaient tous les soirs les vaisseaux sous la surveillance d’un petit nombre de gardiens.

Les deux citadelles étaient à plusieurs étages ; leur partie inférieure, la seule qui existe aujourd’hui, laisse encore voir une série de voûtes en berceau, séparées par des piliers rectangulaires et qui rappellent les célèbres réservoirs de Misène destinés à