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Comme Narbonne et Aigues-Mortes, situées aux embouchures de l’Aude et du Rhône, Fréjus était donc séparé de la mer par une lagune plus ou moins profonde ; dans la suite des siècles, cette lagune vive a été peu à peu atterrie par les eaux troubles de l’Argens, et l’étang jadis navigable est devenu successivement une lagune morte, un marais pestilentiel, une plaine d’alluvions entrecoupée de fondrières tour à tour inondées et asséchées.

On ne sait absolument rien d’historique sur la situation de Fréjus antérieurement à la conquête romaine ; mais on ne saurait douter que la lagune de l’Argens n’ait offert de très bonne heure un asile aux premiers navigateurs de la côte de Provence, pêcheurs ligures, commerçans grecs et phéniciens.

Les conditions d’établissement d’un port étaient loin d’être les mêmes à ces époques éloignées que de nos jours. Pour des navires qui calaient à peine de 2 à 3 mètres d’eau, une simple plage d’échouage suffisait ; et il est fort probable que, derrière les bancs vaseux de l’Argens, il existait une petite rade tranquille qui a dû être de tout temps connue et fréquentée. Des médailles marseillaises qui portent la légende classique MAΣΣ ont été trouvées sur le territoire de Fréjus et démontrent d’une manière indéniable le passage et même le séjour des Grecs de Phocée.

Le nom que portait la ville primitive de Fréjus est encore un problème. On n’a découvert aucun débris de monument, aucun vestige épigraphique antérieur à la conquête : tout est romain dans la vallée de l’Argens ; toutefois le souvenir de l’occupation ligure, phénicienne et grecque semble apparaître sur quelques inscriptions de l’empire et leur donne un intérêt tout particulier.

Tout le monde sait que le chemin de fer de Toulon à Nice traverse un immense champ d’alluvions aujourd’hui en pleine culture et qui fut autrefois le port de Fréjus. Les travaux exécutés en 1861 pour l’établissement de la voie ferrée mirent au jour un nombre considérable de pierres couvertes d’inscriptions qui ont été malheureusement détruites par les ouvriers, mais dont un petit nombre ont pu être sauvées par les soins éclairés de quelques amis de l’antiquité. L’une d’elles, la plus curieuse sans contredit, était gravée sur un cippe funéraire qui paraît avoir été le piédestal d’un vase ou d’une statue. La beauté des caractères, leur forme irréprochable, ne permettent pas d’abaisser l’âge du monument au-dessous du IIe siècle après notre ère, et quelques signes de décadence dans le style semblent même indiquer la seconde moitié de ce siècle. L’inscription est bilingue ; la première partie est latine et porte ces mots : « A Caïus Vibius Ligur, sa mère Maxime. » Au-dessous on lit en caractères grecs : « Cette tombe avait été construite pour de plus