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difficile. Le triumvirat commençait à se dessiner, et quelques rares familles patriciennes s’effrayaient d’un état de choses qui menaçait la vieille constitution romaine. Cicéron lui-même, qui avait sauvé une première fois la république menacée par Catilina, flottait incertain sur les résolutions qu’il cherchait à imposer au sénat, où sa puissante parole avait toujours une grande influence. Les généraux préposés à la conduite des armées correspondaient directement avec lui ; leurs lettres prouvent qu’ils étaient moins préoccupés du salut de la patrie que du soin d’obtenir des dignités lorsqu’un régime définitif serait établi, et surtout d’accroître leurs richesses. Le grand orateur, qui en était en quelque sorte le dispensateur, faisait un peu céder son amour pour la république à la haine profonde qu’il avait vouée à Antoine ; il commençait d’ailleurs à vieillir, avait besoin de repos, aimait le luxe, interrogeait anxieusement l’avenir et se préoccupait surtout de conserver son immense fortune et les dix-neuf villas somptueuses qu’il possédait un peu partout en Italie. C’est au milieu de cette désorganisation générale qu’Antoine et Lépide marchaient à la rencontre l’un de l’autre, sans conviction, sans patriotisme, désireux avant tout de voir les événemens tourner au mieux de leur intérêt. Ils ne devaient pas tarder à s’entendre. Lépide arrivait du confluent de la Saône et du Rhône ; Antoine l’avait devancé et son avant-garde était déjà rendue à Fréjus. Deux lettres écrites à Cicéron, l’une par Lépide, l’autre par Plancus, indiquent que l’armée de Lépide était campée près de Forum Voconii et permettent d’en préciser l’emplacement par rapport à Fréjus.

« Marcus Lépide, tribun des soldats, général et grand pontife, à Cicéron, salut. — J’ai appris qu’Antoine s’avance vers ma province à la tête de son armée ; Lucius Antoine (son frère) le précède avec une partie de sa cavalerie. J’ai quitté le confluent du Rhône et j’ai gagné à marches forcées Forum Vocontium ; j’ai fait camper mes troupes un peu au delà, près du fleuve d’Argens, pour m’opposer à celles d’Antoine. — Le 12 des kalendes de juin au pont d’Argens. »

De son côté Plancus écrivait :

« Plancus salue Cicéron. — J’ai appris qu’Antoine est arrivé à Fréjus avec son avant-garde vers les ides de mai. Lépide est campé vers Forum Vocontium ; ce lieu est à 24 milles de Fréjus. Il m’a écrit qu’il avait résolu de m’y attendre… »

On connaît la suite. A peine arrivé à Fréjus, Antoine entama des négociations avec Lépide ; il lui fit envisager sous l’aspect le plus brillant et le plus productif le résultat d’une trahison ; il lui parla de leur ancienne amitié, l’invita à se joindre à lui, lui représenta que les richesses qu’ils allaient amasser seraient réunies dans leur