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sans autre explication un dernier acte qui assurât le repos des destinées à venir de la France. On peut voir dans le Moniteur sa réponse à cette adresse : « Je vous invite, dit-il, à me faire connaître votre pensée tout entière. Je désire que nous puissions dire au peuple français le 14 juillet prochain : « Les biens que vous avez acquis il y a quinze ans, la liberté, l’égalité et la gloire, sont à l’abri de toutes les tempêtes. » En réponse, l’unanimité du sénat vota pour le gouvernement impérial, « dont, disait-il, il est important pour l’intérêt du peuple français que Napoléon Bonaparte soit chargé. »

Dès le 8 mai, les adresses des villes arrivèrent à Saint-CIoud. Ce fut celle de Lyon qui parut la première ; un peu plus tard, celles de Paris et des autres villes. Vint en même temps le vœu de l’armée : d’abord la première division de dragons, commandée par le général Klein[1] et puis l’armée du camp de Montreuil, sous les ordres du général Ney[2] ; les autres corps de l’armée suivirent promptement cet exemple. M. de Fontanes parla au premier consul au nom du corps législatif, dans ce moment séparé, et ceux de ses membres qui se trouvèrent à Paris se réunirent pour voter comme le sénat.

On pense bien que de pareils événemens mettaient l’intérieur du château de Saint-Cloud dans de vives agitations. J’ai déjà dit quel mécompte le refus de Louis Bonaparte avait fait éprouver à sa belle-mère. Cependant elle conservait l’espérance que le premier consul viendrait à bout, s’il demeurait dans la même volonté, de vaincre la résistance de ses frères, et elle me témoigna sa joie de voir que les nouveaux plans de son époux ne le portaient point à remettre en délibération ce terrible divorce. Dans les momens où Bonaparte avait à se plaindre de ses frères, Mme Bonaparte remontait toujours en crédit, parce que son inaltérable douceur devenait la consolation du consul irrité. Elle n’essayait point d’obtenir aucune promesse de lui, soit pour elle, soit pour ses enfans, et la confiance qu’elle montrait en sa tendresse, ainsi que la modération d’Eugène, mises en comparaison des prétentions de la famille de Bonaparte, ne pouvaient que le frapper et lui plaire beaucoup. Mmes Bacciochi et Murat, très agitées de ce qui allait se passer, cherchaient à tirer de M. de Talleyrand ou de Fouché les projets secrets du premier consul, pour savoir à quoi elles devaient s’attendre. Il n’était point en leur puissance de dissimuler le trouble qu’elles éprouvaient, et je l’observais avec quelque amusement dans leurs regards inquiets et dans toutes les paroles qui leur échappaient.

Enfin il nous fut annoncé un soir que le lendemain le sénat viendrait en grande cérémonie pour porter à Bonaparte le décret

  1. Le général Klein épousa depuis la fille de la comtesse d’Arberg, dame du palais. Il fut nommé sénateur et conservé pair de France par le roi.
  2. Depuis le maréchal Ney.