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Enfin, Georges Cadoudal fut arrêté le 29 mars sur la place de l’Odéon. Il était en cabriolet, et, s’apercevant qu’on le poursuivait, il pressait vivement son cheval. Un officier de paix se présenta courageusement en tête du cheval, et fut tué raide par un coup de pistolet que Georges lui tira. Mais le peuple s’étant attroupé, le cabriolet fut arrêté et Georges saisi. On trouva sur lui de soixante à quatre-vingt mille francs en billets qui furent donnés à la veuve de l’homme qu’il avait tué. On mit dans les journaux qu’il avait avoué sur-le-champ qu’il n’était venu en France que pour assassiner Bonaparte. Cependant je crois me rappeler que l’on dit dans ce temps que Georges, qui montra dans toute la procédure une extrême fermeté et un grand dévoûment à la maison de Bourbon, nia toujours le plan de l’assassinat, mais convint que son projet était d’attaquer la voiture du consul, et de l’enlever sans lui faire aucun mal.

À cette même époque, le roi d’Angleterre tomba sérieusement malade ; notre gouvernement comptait sur cette mort pour la retraite de M. Pitt du ministère.

Le 21 mars, voici quel article parut dans le Moniteur : « Le prince de Condé a fait une circulaire pour appeler les émigrés et les rassembler sur le Rhin : un prince de la maison de Bourbon, à cet effet, se tient sur la frontière. »

Puis on imprima la correspondance secrète qu’on avait saisie d’un nommé Drake, ministre accrédité d’Angleterre en Bavière, qui prouvait que le gouvernement anglais ne négligeait aucun moyen d’exciter du trouble en France. M. de Talleyrand eut ordre d’envoyer des copies de cette correspondance à tous les membres du corps diplomatique qui témoignèrent leur indignation par des lettres qui furent toutes insérées dans le Moniteur.

Nous touchions à la semaine sainte. Le dimanche de la Passion, 18 mars, ma semaine auprès de Mme Bonaparte commençait. Je me rendis dès le matin aux Tuileries pour assister à la messe, ce qui se faisait dès ce temps-là avec pompe. Après la messe, Mme Bonaparte trouvait toujours une cour nombreuse dans les salons, et y demeurait quelque temps, parlant aux uns et aux autres.

Mme  Bonaparte, redescendue chez elle, m’annonça que nous allions passer cette semaine à la Malmaison. « J’en suis charmée, ajouta-t-elle, Paris me fait peur en ce moment. » Quelques heures après nous partîmes. Bonaparte était dans sa voiture particulière, Mme Bonaparte dans la sienne, seule avec moi. Pendant une partie de la route, je remarquai qu’elle était silencieuse et fort triste ; je lui en témoignai de l’inquiétude ; elle parut hésiter à me répondre ; mais ensuite elle me dit : « Je vais vous confier un grand secret. Ce matin, Bonaparte m’a appris qu’il avait envoyé sur nos frontières