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et imprimée dans l’organisme se transmette par l’hérédité, elle deviendra instinct, selon la profonde doctrine de Lamarck, de Darwin et de Spencer. Le corps social, lui aussi, acquiert de la même façon ses habitudes et ses instincts. Il est une foule de changemens qui s’accomplissent dans les centres individuels, dans les consciences particulières, sans aboutir à l’organe directeur, au gouvernement. Il en est aussi qui ont d’abord été connus et voulus par l’organe directeur, sous forme de lois et de déterminations politiques, et qui peu à peu, passant dans les mœurs des citoyens, deviennent habitude et coutume. Si même ces habitudes se transmettent par hérédité, comme c’est inévitable, elles deviennent les instincts nationaux, les tendances populaires et traditionnelles. L’inconscient n’est donc qu’un déplacement ou une dispersion de la conscience, qui, au lieu de se concentrer dans la partie directrice, se répand dans les parties dirigées. Ce qui est l’objet explicite d’un contrat général entre les citoyens est conscient ; ce qui n’est objet que de contrats particuliers entre des individus n’est conscient que pour ces individus et reste inconscient pour le tout. A plus forte raison ce qui est inconscient pour les individus mêmes par l’effet de l’habitude et de l’hérédité demeure-t-il inconscient pour l’ensemble. Mais à l’origine de l’inconscient on retrouve toujours la conscience : il se réduit en réalité 1° aux actes de conscience individuels ; 2° à leurs effets organiques fixés peu à peu dans la race. Chez l’animal même, l’instinct fut en grande partie conscient à son origine, et laisse encore une part notable à l’art et à l’éducation. Les hirondelles de nos jours savent mieux faire leurs nids que celles dont on retrouve les nids dans les ruines antiques ; chaque hirondelle sait aussi modifier son travail selon la nature du milieu et les difficultés des circonstances. Chez l’homme, être raisonnable, le rôle de la conscience est encore plus manifeste dès l’origine. Aussi reprocherons-nous à M. Spencer lui-même, comme à M. de Hartmann, de n’avoir pas assez vu la part des volontés particulières dans ce qui est involontaire relativement au tout, d’avoir ainsi exagéré le rôle de l’inconscient et de l’instinctif dans les sociétés humaines, de n’avoir pas eu par cela même assez de foi dans l’éducation, dans la puissance des intelligences particulières ou des associations particulières pour modifier la marche et la « croissance » du tout, dans la puissance des gouvernemens mêmes pour réaliser une plus haute justice ou un meilleur état social.

De plus, le mouvement de l’histoire accroît le volontaire dans les centres particuliers et dans le centre général. La conscience tend donc à prédominer dans la vie politique des nations, de manière à pénétrer tout, à éclairer tout. L’humanité finit par construire avec conscience sa propre histoire. Les hommes deviennent en