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extrémité des ondulations régulières : faut-il faire intervenir entre ces deux extrémités une force providentielle ? Dans les jeux de hasard, les gains des particuliers n’empêchent point le gain final de la banque ; admettra-t-on pour cela que la banque de Bade ou d’Ems avait un ange gardien ? Le nombre des mariages, des naissances, des morts, malgré la fantaisie individuelle, est constant chez un peuple, sans qu’il y ait un génie des mariages ou un génie de la mort, dont la volonté inconsciente s’imposerait aux consciences. Dans une assemblée politique, composée proportionnellement au nombre des citoyens, les volontés égoïstes des divers individus se font équilibre et se neutralisent approximativement, si bien qu’il suffit souvent d’un petit nombre de volontés désintéressées, pour produire la majorité en faveur de la volonté vraiment générale ; il n’est pas nécessaire de supposer pour cela que l’Esprit-Saint est descendu au milieu de l’assemblée ou que l’âme inconsciente de la nation assiste aux débats comme un président invisible.

Quant à « l’instinct historique » des nations, il s’explique comme tous les autres instincts, non par une volonté inconsciente, mais par des habitudes héréditaires, par des traditions et des coutumes dont l’effet subsiste sous les volontés changeantes comme un même esprit toujours présent. Il est des individus chez qui l’effet accumulé des tendances nationales se manifeste avec plus d’énergie et de clarté, il en est dont la pensée propre traduit mieux la pensée de tous : ce sont les hommes de génie. Pour expliquer leur présence au moment nécessaire, — présence qui fait parfois défaut, — il suffit de remarquer que l’effort de tout un peuple est à son maximum d’énergie chez un ou plusieurs individus, qui se trouvent ainsi en avant sur les autres : quand la marée monte, il y a toujours une vague qui, soulevée par les autres et par son mouvement propre, monte plus haut et s’élance plus loin.

Qu’est-ce donc, en dernière analyse, que l’inconscient dans la société ? — L’analogue de l’inconscient dans l’être vivant. Chez ce dernier, il n’y a de conscient que ce qui provoque une modification d’une certaine intensité dans l’organe central et dominateur, dans le cerveau. Aussi, lorsqu’un acte d’abord conscient a été répété un grand nombre de fois, les courans nerveux se creusent peu à peu un lit, façonnent peu à peu l’organisme de manière à rendre l’exécution plus facile, et il arrive un moment où l’acte est effectué par les centres secondaires sans qu’aucun ébranlement se propage dans le centre principal : l’acte est alors devenu inconscient, c’est-à-dire habituel et automatique. Les sensations plus ou moins nettes qui l’accompagnent n’existent plus que dans les centres secondaires, siège d’actions réflexes, et il n’arrive au cerveau qu’une sorte de murmure lointain et confus. Maintenant, qu’une habitude ainsi formée