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à la commune et il y a longtemps que cette devise a été formulée. Elle est à la fois le point d’appui et la doctrine de l’Internationale. Je la trouve très nettement exprimée dans une lettre qu’un ouvrier de Reims adressa le 19 mars 1870 à Varlin, qui, on se le rappelle, était en correspondance avec les groupes internationalistes du Portugal, d’Espagne, d’Allemagne et de France. « C’est nous qui donnons la vie à toutes les nations. Sans nous, rien n’existerait, ce qui fait que nous sommes la vraie force, la force qui fait vivre et par là la seule force juste, qui vaut bien la force destructive qui appartient aux bourgeois, nos éternels ennemis, qui ne pensent qu’à leur ambition et à leur insociabilité et qui voudraient encore vivre sans rien produire, excepté le désordre social et tous les maux qui s’ensuivent et qui nous ruent les uns sur les autres pour nous entre-déchirer comme des bêtes sauvages, pour ce qu’ils appellent patrie, gloire, victoire, choses bien vaines pour nous aujourd’hui. Je le répète, nous sommes le nombre, nous sommes la force, nous sommes le droit, nous sommes la justice, nous sommes la morale universelle, et une cause aussi juste que la nôtre ne doit pas succomber ; l’éternelle morale est là pour l’attester ! » Ces hommes-là sont des prétendans. L’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes ne leur permet que les premiers rôles, et leur ambition est d’autant plus intense qu’elle ne repose que sur des illusions. Ils croient à leur avenir, ils le voient, ils vont y toucher. À leur manière, ce sont des fanatiques. Au-dessus du chaos des revendications confuses et des rêvasseries indéterminées, ils aperçoivent nettement le quart-état qui passe la tête dans un triangle égalitaire, semblable au couperet de la guillotine, et qui dit, entre deux hoquets à l’absinthe : « Je suis parce que je suis ! »

Dans leur ingénuité, ils s’imaginent que l’on peut, en toute chose, supprimer les intermédiaires, comme dans le commerce, acheter en fabrique et à la grosse. Il ne suffit pas de vouloir être pour parvenir. La réputation, les honneurs, la fortune, ça ne s’achète pas, cela s’acquiert. Les escaliers qui conduisent à ces sommets se gravissent degré par degré, péniblement, et il faut parfois plus d’une génération pour toucher le faite. Les générations sont les étapes entre le point de départ et le point d’arrivée. Ces étapes, le collectiviste voudrait n’en tenir compte ; entre lui et le but auquel il aspire, il trouve le labeur, l’effort, la persévérance, le temps ; c’est là ce privilège qu’il accuse, c’est là « l’éternel ennemi. » Il est pressé de jouir, il n’a ni le loisir, ni le courage de s’élever jusqu’à la fortune ; il veut la voler avec effraction, et il fait la commune, sous prétexte de renverser la caste oppressive par excellence, la bourgeoisie, qui cependant ne peut se retourner