Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/571

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en vigueur, il faut être vingt fois criminel pour n’être pas accusé d’appartenir à la police. Les tavernes de Londres, les cabarets de Carrouge, les estaminets de Belgique ont vu bien des disputes au cours desquelles le premier mot échangé était celui de mouchard. Grâce à cela, grâce à des querelles devenues éclatantes et dont le public a été pris à témoin, on a vu clair dans plus d’une retraite, et l’on a compris qu’ils avaient souvent, les uns pour les autres, « une haine de frère. » Je crois pouvoir affirmer que Rochefort et Cluseret ont été condamnés à mort par une société de contumax réfugiés à Londres. Ils ne s’en sont pas souciés et ils ont bien fait.

Le groupe le plus considérable, celui qui, exclusivement à tous les autres, se considère comme représentant la pure doctrine et se croit composé d’hommes éminens tout prêts à ressaisir le pouvoir et à dominer la France, a repris la vieille dénomination, chère à tous les révoltés ; il s’appelle : la commune révolutionnaire. Il a parlé, il faut répéter ses paroles et les écouter. Le manifeste dont je vais citer quelques phrases a été imprimé et distribué par milliers d’exemplaires ; la poste l’a transporté sous forme de lettre dans toutes les parties du monde ; on l’a dissimulé sous la percaline qui enveloppe les petits livres des sociétés protestantes, pour le faire parvenir aux déportés de la Nouvelle-Calédonie. — C’est l’évangile des temps nouveaux, — des temps prochains ; — ceux qui ont rédigé ce programme, fruit de longues et laborieuses discussions, ont du moins le mérite de la franchise ; ils disent à l’avenir ce qu’ils lui réservent, ils n’enveloppent point leurs pensées dans des phrases à double entente ; ils font à la civilisation cette grâce de lui éviter toute surprise. Les incendiaires du palais de la Légion d’honneur, de la rue de Lille, de la rue du Bac, de la caserne d’Orsay, de la Caisse des dépôts et consignations semblent écrire encore à la lueur des flammes. Leur prose éclaire autant que leur pétrole et prouve que ceux qui cherchent « l’apaisement » ne se rencontrent point parmi les évadés de la commune, aujourd’hui contumax et fort peu repentis. Ce manifeste, imprimé à Londres en juin 1874, adressé aux communeux, n’est en somme qu’une suite de divagations fastidieuses et de phrases dont la vacuité égale la boursouflure. On sait cependant, après l’avoir lu, à quoi s’en tenir sur quelques points qu’il est bon de connaître ; en matière de religion, on est très net : « Nous sommes athées, parce que l’homme ne sera jamais libre tant qu’il n’aura point chassé Dieu de son intelligence et de sa raison. » En matière de conciliation, on paraît professer une opinion raisonnée et pleine de promesses : « La commune, ne l’oublions pas, nous qui avons reçu charge de la mémoire et de la vengeance des assassinés, c’est aussi la revanche ! » Tous ceux qui ne