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commune de Paris restera un modèle inimitable pour ceux qui, de parti pris, sont décidés à ne reculer devant aucune imposture. Il n’est point clément du reste, pour les chefs de l’armée fédérée, et lorsqu’il cite quelques passages de leurs rapports ou de leurs lettres, il a soin de les tronquer[1]. Il dit : « Ce sont les officiers d’état-major de cette espèce qui ont rendu possible l’entrée des Versaillais dans Paris, et la chute de la commune, ce sont eux qui sont responsables du sang qui a coulé et du massacre de quarante mille gardes nationaux tués (p. 377). » Son jugement sur la loi des otages est à retenir ; il la trouve « bien modérée et bien équitable (p. 289). » Les faits de guerre le surexcitent à ce point qu’il en perd la tête et ne reste plus maître de son imagination. C’est à lui que l’on doit l’invention de la bataille du Père-Lachaise : « Pendant plus d’une demi-heure, il y eut dans cet asile des morts un combat terrible. Ce ne fut qu’après avoir massacré les canonniers sur leurs pièces et avoir fusillé presque tous les gardes nationaux que le cimetière fut pris. Près de 6,000 cadavres jonchaient les avenues et les tombes. Beaucoup de fédérés furent égorgés dans les caveaux, sur les cercueils des morts, où ils s’étaient réfugiés et qu’ils arrosèrent de leur sang. Le massacre fut épouvantable (p. 404). » Je répète encore que le Père-Lachaise fut pris sans coup férir et qu’il ne fut le champ d’aucun combat. Les troupes y arrivèrent le soir par les environs de la rue Bagnolet et y bivouaquèrent. Le récit de Pierre Vésinier, « ex-membre et secrétaire de la commune, ex-rédacteur en chef du Journal officiel, » est le résultat d’une hallucination ; mais tous les écrivains communards l’ont adopté et le commentent, sans scrupule, encore à l’heure qu’il est[2]. Le volume de Vésinier se termine par une prédiction : « La commune renaîtra des cendres de ses martyrs brûlés par les bourreaux incendiaires, boucaniers de Versailles ; le vent les a déjà portées aux quatre coins du monde pour ensemencer les champs de la révolution dont le triomphe est assuré (p. 420). »

Parmi les livres que les contumax ont publiés sur cette période de leur existence, je n’en vois qu’un, — un seul, — qui offre quelque sécurité et soit sérieux, c’est l’Histoire de la commune de 1871, par Lissagaray (1876). Le livre est d’un jacobin et d’un

  1. Razoua en arrivant à Genève écrit : « Après avoir défendu l’École militaire, je suis rentré chez moi, 6, rue Duperré, vers sept heures, écrasé de fatigue, blessé et mis hors de combat, je me suis reposé. » Dans son Histoire de la commune, P, Vésinier cite la lettre de Razoua (p. 376-377), mais il a soin de supprimer les mots blessé et mis hors lie combat, ce qui lui permet toutes sortes de considérations.
  2. Le récit des incidens qui se sont produits au cimetière de l’est dans la journée du samedi 27 mai a été fait avec une scrupuleuse exactitude par M. Alphonse Daudet. Voir Contes du Lundi, p. 178 : La Bataille du Père-Lachaise.