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ou par leurs adhérens, par les badauds oisifs, par les reporters effarés, par les trembleurs éperdus, sont pieusement consignées dans cette compilation où je lis avec étonnement, sous la rubrique le Siècle, 28 mai 1871 : « Le maréchal Mac-Mahon a exécuté sa menace contre Belleville ; toute la nuit on a tiré à boulets rouges sur le quartier. » Qui ne sait cependant que, depuis plus de vingt années, l’obus a été substitué au boulet dans toute l’artillerie française ? Les « faits divers » qui constituent le Livre rouge de la justice rurale ont tous à peu près ce même degré de véracité. Il y est naturellement question de la grande bataille du Père-Lachaise, où l’on ne s’est pas battu.

Le premier journal qu’ils fondent, — à Londres, — s’appelle le Qui vive ! Il est de bonne encre celui-là, et il ne cherche pas ses mots pour dire leur fait aux « classes dirigeantes. » En novembre 1871, bien peu de temps après la défaite, lorsque les maisons de Paris incendié ne sont pas encore reconstruites, le Qui vive ! daigne nous révéler quelle forme de gouvernement « La Proscription » voudra bien nous appliquer lorsqu’elle sera revenue trôner en France : « Apprenez que nous n’avons plus au cœur que l’idée d’une vengeance, et nous la voulons terrible, exemplaire. Un jour viendra, vous le savez, où nous serons de nouveau maîtres de la place. Il n’y aura plus de grâce, plus de merci pour les tueurs de juin 1848 et de mai 1871. Nous faucherons vos têtes, seraient-elles couvertes de cheveux blancs, et cela avec le plus grand calme. Vos femmes, vos filles, nous n’aurons plus pour elles ni respect, ni pitié ; nous n’aurons que la mort ! La mort jusqu’à ce que votre race maudite ait disparu à jamais ! A bientôt, messieurs les bourgeois ! » La note s’est accentuée, car au début de l’insurrection on était plus doux et moins exigeant ; on n’aimait pas beaucoup plus les bourgeois, mais du moins on n’en demandait pas l’extermination radicale, on se contentait à moins, et la Montagne du 5 germinal an 79, c’est-à-dire du mardi 4 avril 1871, semblait répondre à tous les besoins du moment lorsque, parlant de M. Thiers, « ce petit vieux à mine de chouette, » et du « compère Favre, » Gustave Maroteau y écrivait : « La commune vous met ce matin en accusation ; vous serez jugés et condamnés, il le faut. Heindrich[1], passe ton couperet sur la pierre noire ; il faut que la tête de ces scélérats tombe ! » L’idée communarde, on le voit, a fait quelques progrès : tuons d’abord, et nous verrons plus tard.

La prose, la vile prose ne suffit pas à ces vengeurs du droit commun ; la poésie s’impose aux grandes âmes : facit indignatio versum !

  1. Heindrich était alors exécuteur des hautes œuvres à Paris.