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— longues privations, — héroïsme inutile, — humiliation de la défaite, — haine de l’ennemi. — Cela fut répété sur tous les tons, et peu s’en fallut que de cet excès de crimes on n’essayât de faire un excès de vertus. C’est là un verbiage enfantin, qui ne tient pas devant l’examen des faits. Quelques hommes ont pu être entraînés par un sentiment confus de patriotisme exaspéré, sentiment bien aveugle, en tout cas, puisqu’il ne leur permit pas de reconnaître qu’ils combattaient contre la France si blessée, si sanglante, qu’on l’entendait râler. Quant aux membres de la commune, aux généraux, aux colonels, a tout cet état-major d’ivrognes et de saltimbanques, le dernier sentiment qui ait fait battre leur cœur est celui de la patrie. Les malheurs dont nous avons été accablés, la captivité de nos soldats, la défaite de notre vieille gloire et de nos espérances, l’affolement d’une nation vaincue jusque dans ses moelles, la présence armée de l’ennemi sur nos terres, toutes ces douleurs, toutes ces hontes n’ont été pour eux qu’une occasion propice et une occurrence inespérée. Après Wœrth, après Sedan, après Metz, après la capitulation de Paris, ce qu’ils ont d’âme a secrètement tressailli de joie, car à travers l’effondrement du pays ils apercevaient la prochaine réalisation de leur rêve. L’établissement de la commune les préoccupait seul ; quant au salut de la France, il leur a servi de prétexte à propager leurs insanités, mais on peut affirmer qu’ils n’y ont même pas songé, et l’on sait qu’ils n’ont jamais essayé d’y concourir.

M. Jules Simon, qui a été un des ministres du gouvernement de la défense nationale, et qui a pu juger par lui-même du degré de patriotisme dont les futurs héros de la commune étaient animés, ne s’est point laissé prendre à la rhétorique prétentieuse derrière laquelle on a voulu masquer leur forfait. Il a écrit : « Non-seulement les hommes de la commune ne sont pas sortis de terre, le 18 mars, comme une génération spontanée, mais on les connaissait par leurs noms depuis plus de deux ans ; on savait leur but, leurs moyens d’action ; on pouvait compter leurs échecs et mesurer d’un échec à l’autre le progrès de leurs forces[1]. » Oui, certes, on les connaissait, et ceux qu’ils ont surpris furent bien naïfs ou bien ignorans, car ils avaient eu soin de se dénoncer eux-mêmes du haut de la tribune des réunions publiques. Mais bien avant l’époque où l’empire, ouvrant la porte aux libertés, put compter ses adversaires, on avait vu ces hommes à l’œuvre, dans les conspirations secrètes. Sous prétexte de renverser l’empire, ils prêchaient la république, sous prétexte de défendre la république, ils organisaient la

  1. Le Gouvernement de M. Thiers, par M. Jules Simon, t. I, p. 167.