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Bonaparte aimait que les femmes fussent parées, et soit calcul, soit goût, il y excitait sa femme et ses sœurs. Mme Bonaparte et Mmes Bacciocchi et Murat (Mme Leclerc, depuis la princesse Pauline, en 1802, était à Saint-Domingue), se montraient donc resplendissantes. On donnait des costumes aux différens corps, les uniformes étaient riches, et cette pompe, qui succédait à un temps où l’affectation de la saleté presque dégoûtante s’était jointe à celle d’un civisme incendiaire, semblait encore une garantie contre le retour du funeste régime dont on n’avait point perdu le souvenir.

Il me semble que le costume de Bonaparte à cette époque mérite d’être rapporté. Dans les jours ordinaires, il portait un des uniformes de quelque corps de sa garde ; mais il avait été réglé, pour lui et ses deux collègues, que dans les grandes cérémonies ils revêtiraient tous trois un habit rouge brodé en or, en velours l’hiver, en étoffe l’été. Les deux consuls Cambacérès et Lebrun, âgés, poudrés et bien tenus, portaient cet habit éclatant avec des dentelles et l’épée, comme autrefois on portait l’habit habillé. Bonaparte, que cette parure gênait, cherchait à y échapper le plus possible. Ses cheveux étaient coupés, courts, plats et assez mal rangés. Avec cet habit cerise et doré, il gardait une cravate noire, un jabot de dentelle à la chemise, et point de manchettes ; quelquefois une veste blanche brodée en argent, le plus souvent sa veste d’uniforme, l’épée d’uniforme aussi, ainsi que des culottes, des bas de soie et des bottes. Cette toilette et sa petite taille lui donnaient ainsi la tournure la plus étrange, dont personne cependant ne se fût avisé de se moquer. Lorsqu’il est devenu empereur, on lui a fait un habit de cérémonie avec un petit manteau et un chapeau à plumes qui lui allaient très bien. Il y joignit un magnifique collier de l’ordre de la Légion tout en diamans. Les jours ordinaires, il ne portait jamais que la croix d’argent.

Je me souviens que la veille de son couronnement, les nouveaux maréchaux qu’il avait créés peu de mois avant vinrent lui faire une visite, tous revêtus d’un très bel habit. L’étalage de leur costume, en opposition avec le simple uniforme dont il était habillé, le fit sourire. Je me trouvais à quelques pas de lui, et comme il vit que je souriais aussi, il me dit à demi-voix : « Le droit d’être vêtu simplement n’appartient pas à tout le monde. » Quelques instans après, les maréchaux de l’armée se disputaient sur le grand article des préséances, et venaient demander à l’empereur de régler l’ordre de leur rang dans la cérémonie. Au fond leurs prétentions s’appuyaient sur d’assez beaux titres, car chacun d’eux énumérait ses victoires. Bonaparte les écoutait et s’amusait encore à chercher mes regards : « Il me semble, lui dis-je, que vous avez aujourd’hui donné