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faisait sa visite de noce, alors parfaitement belle. Mme Bonaparte tenait tout ce cercle avec une grâce charmante ; elle était mise avec recherche et dans cette sorte de goût qui se rapproche de l’antique. C’était la mode de ce temps, où les artistes avaient un assez grand crédit sur les usages de la société.

Bonaparte se leva pour recevoir nos révérences, et après quelques mots vagues se rassit, pour ne plus s’occuper des femmes qui étaient dans le salon. J’avoue que cette première fois je fus moins occupée de lui que du luxe et de l’élégance magnifique dont mes yeux étaient frappés pour la première fois.

Nous prîmes, dès ce moment, l’habitude de faire de temps en temps quelques visites aux Tuileries. Peu à peu, on nous donna et nous reçûmes l’idée de voir M. de Rémusat remplir quelque place qui pût nous rendre quelque chose de l’aisance dont la perte de nos biens nous privait. M. de Rémusat, ayant été magistrat avant la révolution, eût désiré rentrer dans un état grave. La crainte de m’affliger en me séparant de ma mère et en m’éloignant de Paris le portait à solliciter une place au conseil d’état et à éviter les préfectures. Mais alors nous ne connaissions guère tout ce qui composait le gouvernement. Ma mère avait parlé de notre situation à Mme Bonaparte. Celle-ci prit peu à peu du goût pour moi ; elle trouvait à mon mari des manières agréables ; elle conçut tout à coup l’idée de nous rapprocher d’elle. A peu près dans le même temps, ma sœur, qui n’avait point épousé le parent dont j’ai parlé, fut mariée à M. de Nansouty, général de brigade, neveu de Mme de Montesson et très estimé à l’armée et dans le monde. Ce mariage multiplia nos relations avec le gouvernement consulaire, et un mois après Mme Bonaparte prévint ma mère qu’elle espérait qu’il ne se passerait pas longtemps sans que M. de Rémusat fût nommé préfet du palais. Je passerai sous silence les diverses agitations que cette nouvelle causa dans ma famille. J’en fus pour mon compte très effarouchée. M. de Rémusat se résigna plutôt qu’il ne se réjouit, et sitôt après sa nomination qui suivit bientôt, comme il est parfaitement un homme de conscience, il s’appliqua avec sa droiture ordinaire à tous les minutieux détails de son nouvel emploi.

Peu de temps après, je reçus cette lettre du général Duroc, gouverneur du palais :


« Madame,

« Le premier consul vous a désignée pour faire auprès de Mme Bonaparte les honneurs du palais.

« La connaissance personnelle qu’il a de votre caractère et de vos principes lui donne l’assurance que vous vous en acquitterez avec la politesse qui distingue les dames françaises et la dignité qui convient