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cette libéralité qui se confond avec la liberté même ; c’est que l’intolérance est un type dont le prestige et l’imitation s’imposent A ceux mêmes qui la combattent, et ceux qui souffrent des réactions ont fourni souvent eux-mêmes les armes dont on les frappe.

Parmi les affaires de la restauration qui mirent aux prises l’esprit de liberté et l’esprit d’intolérance, nous ne pouvons rappeler ici que celles dont Dubois eut à s’occuper dans le Globe et qui lui furent une occasion d’exposer ses principes ; parmi ces affaires, l’une des plus curieuses fut le célèbre procès des Évangiles-Touquet. Ce livre était une édition abrégée du Nouveau-Testament, publiée par la librairie Touquet sous ce titre : Évangiles, partie morale et historique. Il était donc, comme l’indiquait le titre, composé exclusivement de toute la partie humaine de l’Évangile ; tout ce qui peut être considéré comme surnaturel et divin en était exclu. C’était évidemment une publication déiste et philosophique : épreuve intéressante pour la charte et pour la restauration. Était-il permis de n’accepter de l’Évangile et de n’en recommander que la partie purement humaine ? La liberté des cultes allait-elle jusqu’à la liberté de penser, c’est-à-dire de ne pas avoir de culte ? La religion d’état engageait-elle le gouvernement à défendre le christianisme sous sa forme positive et théologique, et comme sa chose propre ? On voit que dans cette affaire d’intérêt privé, la question religieuse était engagée dans ce qu’elle a de plus délicat et de plus décisif. Suivant la solution, la liberté des cultes garantie par la charte était entendue dans un sens vraiment large et humain comme liberté de conscience en général, liberté de pensée, ou au contraire elle n’était plus qu’une tolérance à l’égard de certains cultes, avec prédominance privilégiée et favorisée du culte catholique, et interdiction de la liberté philosophique. Inutile de dire que le Globe soutint avec énergie et passion la cause de la liberté ; mais ce fut la cause contraire qui l’emporta.

Dans la question des Évangiles-Touquet, toute la discussion portait sur le sens du mot « religion d’état. » Le gouvernement prétendait que la suppression des prodiges de l’Évangile était un outrage à la religion de l’état ; que l’état, considérant l’Évangile comme un livre inspiré et divin, ne pouvait admettre que l’on y touchât, que la suppression des miracles équivalait à leur négation, par conséquent à la négation de la divinité de Jésus-Christ, base du christianisme et religion de l’état il est vrai qu’il fallait singulièrement étendre le sens des termes de la loi sur la presse pour en tirer de telles conséquences, car cette loi ne condamnait que les attaques à la morale publique et religieuse. Or est-ce attaquer la morale religieuse que de nier les miracles ? Il ne le semblait pas ; mais