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une passion, à un préjugé de circonstance, et dont les « congrégations non autorisées » ont le fatal privilège de payer les frais.

L’erreur de M. le ministre de l’instruction publique et de M. Paul Bert, et de M. Spuller et de tous ceux qui s’associent à cette campagne, est de ne pas voir que, sous prétexte de défendre l’état contre ce qu’ils appellent le cléricalisme, ils mettent en doute d’une manière plus ou moins avouée, plus ou moins subreptice, les principes les plus élémentaires de liberté et de droit commun. Il y a une confusion telle que dans cette discussion, qui a été certainement intéressante, quoiqu’elle ait offert peu de nouveauté, quoiqu’elle n’ait été que la reproduction plus étendue de toutes les discussions de ce genre, on n’a pas pu même arriver à définir avec quelque netteté, en langage légal bien entendu, ce que c’est qu’une congrégation non autorisée. On sait bien ce que c’est qu’une congrégation autorisée, puisque l’autorisation donne l’existence collective, la personnalité civile. Une congrégation non autorisée échappe forcément à toute définition précise. Elle n’est point reconnue, c’est évident, elle ne le demande pas ; elle n’a point de caractère collectif, elle ne se manifeste sous aucune forme civile. Les religieux qui la composent rentrent dans le droit commun : ils en ont les charges et les responsabilités, ils en ont aussi les avantages et les prérogatives. En quoi des congrégations sont-elles « illicites, » c’est le mot de M. le ministre de l’instruction publique, parce qu’elles ne sont point autorisées ? En quoi l’autorisation leur est-elle nécessaire tant que ceux qui les composent restent dans le droit commun et prétendent n’en pas sortir ? Par quelle anomalie étrange des hommes réunis pour prier ou pour enseigner dans les conditions légales seraient-ils frappés d’une indignité ou d’une incapacité particulière ? Que le caractère religieux des membres des congrégations ne soit pas aux yeux de l’état un titre privilégié à l’enseignement, soit ; ce caractère religieux n’est pas non plus apparemment un motif d’exclusion, une présomption d’incapacité morale ou civile. La vérité est que cette longue discussion n’a fait aucune lumière, qu’on n’a réussi à rien définir, à rien préciser juridiquement, qu’on est resté jusqu’au bout dans le vague des interprétations discrétionnaires. On est arrivé tout simplement à cette contradiction bizarre d’inscrire dans une disposition législative une pénalité extraordinaire, l’interdiction d’enseigner, pour un fait qui n’est ni un délit ni un crime, qui ne tombe sous le coup d’aucune loi. Il ne s’agit pas dans tout cela de légalité ou même d’équité, on en conviendra volontiers ; c’est une œuvre toute politique, on ne le ’nie guère, une œuvre de préservation ou de précaution, — et c’est là justement le danger d’un système qui, sous prétexte de politique, commence par ressusciter les régimes d’exception, par méconnaître le droit commun en mettant sans façon hors la loi des milliers d’hommes par simple mesure de suspicion.

Rien n’est plus facile bans doute que d’invoquer la défense sociale,