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prodigieusement étranges, ou pis encore, prodigieusement banales. Et comme son génie n’appartient qu’à lui, comme c’est là ce qu’on ne saurait lui dérober, et ce que lui-même ne pourrait transmettre à personne, c’est dire d’un mot qu’il est le pire modèle qu’on puisse proposer à l’imitation, et son style la pire école.

Toute une génération cependant s’est mise à cette école, mais non pas celle que l’on croit d’ordinaire, non pas la génération de 1830, non pas la génération des Musset, des George Sand, des de Vigny, des Mérimée, des Sainte-Beuve. Tout au contraire, et de bonne heure, leur art à tous s’est élevé comme une protestation contre l’influence de l’auteur du Roi s’amuse et de Ruy Blas. Dans une histoire de la littérature contemporaine, lorsque le temps sera venu de l’écrire, il sera facile de marquer par des dates certaines et des citations irrécusables le moment où chacun d’eux a renié le maître et sauvé, des exigences d’une tyrannie de jour en jour plus étroite, l’originalité de son propre talent. Car l’on peut dire assurément que si M. Victor Hugo a fait école, ce n’est point, comme les autres maîtres, par la sagesse des conseils, l’autorité des exemples ou la perfection des œuvres : c’est qu’il a duré, c’est qu’il est demeuré parmi nous le dernier survivant d’une grande et glorieuse génération. Aussi, quelque apparence de paradoxe que puisse avoir d’abord une pareille opinion, n’hésiterons-nous pas à dire que si quelque génération littéraire procède en effet de M. Victor Hugo, c’est la génération contemporaine, réaliste et naturaliste.

Ce serait un bien amusant spectacle, en vérité, si ce n’était un triste symptôme de la confusion des idées et de la mêlée des doctrines que de voir, comme nous le voyons, ce grand novateur qu’on appelle M. Zola s’irriter du succès de Ruy Blas, ce grand imitateur qu’on appelle M. Vacquerie, s’irriter à son tour de la colère de M. Zola, et le bon public, juge du camp, s’imaginer qu’en applaudissant à Ruy Blas il proteste contre l’Assommoir. Nous ne nous refuserons pas le plaisir, quelque jour, de montrer, du romantisme au naturalisme, cette souterraine infiltration des idées, cette généalogie, peu connue, mais très authentique des œuvres. Nous proclamerons dans la personne de M. Zola l’héritier légitime, quoique indigne, de M. Victor Hugo, et les bras en tomberont à M. Vacquerie de douleur et d’étonnement. Même il ne sera pas jusqu’à l’argument triomphant de la vente que nous ne retrouverons, et l’on verra M. Vacquerie faisant le dénombrement des éditions de son maître et dressant le bordereau des cent soixante mille neuf cent dix-huit volumes écoulés dans le laps de cinq ans, longtemps avant qu’il ne fût question des quarante-deux éditions de l’Assommoir, des vingt éditions d’une Page d’amour et des quatre représentations du Bouton de rose.

Disons seulement pour cette fois que le style de M. Victor Hugo, tel