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soit en les créant d’office, soit en transformant les institutions qui existaient avant la réunion au domaine de la couronne, dans la Normandie sous le nom d’échiquier, dans la Bourgogne sous le nom de grands jours, et dans d’autres provinces sous divers autres noms ; cette œuvre nouvelle marcha si lentement que, sur les douze parlemens qui existaient en dehors de Paris en 1789, on n’en comptait encore que cinq à la fin du XVIe siècle.

Suivant une opinion généralement accréditée, le parlement de Paris, à partir de Philippe le Bel, aurait été composé presque exclusivement de bourgeois, et les nobles en auraient même été systématiquement exclus à cause de leur ignorance ou des ombrages qu’ils inspiraient à la royauté. Cette opinion est contredite par les faits. La noblesse au moyen âge était plus instruite qu’on ne le suppose : dans le centre et dans le nord, elle s’occupait avec succès de l’étude du droit, et l’on comptait à la fin du XIVe siècle parmi les élèves de l’université d’Orléans les héritiers des plus grandes familles. Le mépris du savoir et des fonctions de judicature est venu plus tard avec la décadence politique. Dans les derniers siècles, les nobles ne siégeaient plus qu’à titre de pairs, parce qu’ils s’étaient éloignés d’eux-mêmes et n’avaient point voulu profiter des ordonnances qui enjoignaient aux membres du parlement de porter toujours au moins un noble sur la liste des trois candidats qu’ils présentaient à la nomination du roi, avant que les charges fussent rendues vénales, et même de les préférer à tous les autres[1]. Pas plus que les nobles, les ecclésiastiques n’ont été l’objet d’une exclusion calculée. Si les évêques ont été éliminés par Philippe le Long en 1319, c’est uniquement que ce prince se faisait un cas de conscience « de eux empeschier au gouvernement de leurs esperitialitez[2]. » Hors de là, ils ont toujours fourni au personnel des cours souveraines un nombreux contingent. En 1388, à Paris, sur trente conseillers, quinze étaient des ecclésiastiques, et la grand’chambre, la plus importante de toutes, en comptait encore au XVIIIe siècle douze sur trente-cinq. Séculariser ou démocratiser le parlement d’une manière absolue, c’était lui enlever une partie de sa force vis-à-vis du clergé et de la noblesse ; les rois étaient trop habiles pour commettre cette faute, que leur prêtent des écrivains qui ne regardent le passé qu’à travers les perspectives de la révolution.

L’existence des parlemens et des sièges inférieurs qui en ressortissaient aurait dû réaliser l’unité de juridiction et l’homogénéité de la magistrature. C’était là en effet l’objectif des rois, mais ils se trouvaient entraînés par la loi de, morcellement, qui s’imposait à

  1. Isambert, Anciennes lois, t. VII, p. 328.
  2. Ibid., t. VI, p. 233.