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Quelle est en définitive la politique de la nature dans l’être vivant, et si on l’interprète en son vrai sens, n’en peut-on tirer plus d’une leçon pour la politique humaine ? Dans l’être animé comme dans le corps social, il y a des fonctions laissées à l’initiative des individus, d’autres à l’initiative des centres secondaires et des associations particulières, d’autres à celle du centre supérieur et de l’association tout entière qui y est représentée. D’abord l’être vivant laisse agir par elle-même chacune de ses cellules composantes et l’abandonne aux forces dont elle est le siège. Ces forces se ramènent à deux, comme nous l’avons vu : l’intérêt et la sympathie ; chaque cellule en effet se sent elle-même et sent sympathiquement sa voisine, dont l’intérêt devient ainsi partiellement identique au sien propre. En vertu des affinités de nature et de tendance, conséquemment d’une communauté d’intérêt ou de sympathie, les cellules s’unissent, s’agrègent, s’associent ; il s’établit entre elles un échange d’alimens et de mouvemens. C’est l’équivalent des échanges et des contrats entre particuliers, qui ont aussi pour raison des intérêts communs ou des sympathies communes, et qui doivent aussi s’accomplir en toute liberté sans l’intervention du pouvoir central. En second lieu, il y a dans l’être vivant des centres secondaires et de grands organes qui ont leur autonomie : ce sont comme des associations moins vastes contenues dans l’association plus large du tout. Tels sont principalement les viscères chargés d’élaborer, de purifier, de faire circuler la nourriture : estomac, poumons et cœur. Ces organes, comme l’a remarqué M. Spencer, ne sont point soumis à l’action de l’organe directeur, du cerveau. Que ce dernier le veuille ou ne le veuille pas, l’estomac élabore bien ou mal les alimens, le cœur bat et fait circuler le sang par tout le corps, la poitrine se soulève et les poumons purifient le sang au contact de l’air. L’autonomie des organes de nutrition va si loin que les intestins continuent parfois leurs mouvemens propres après la section des nerfs qui les font communiquer avec le cerveau ; le cœur arraché du corps continue à battre un certain temps, surtout chez les animaux à sang froid et aussi chez certains mammifères comme les ours du pôle ; le foie d’un animal égorgé peut, comme l’a montré Claude Bernard, continuer la sécrétion de la bile ou la production du sucre après que le sang s’est écoulé. Les hydrozoaires de l’Océan sont parfois composés de parties très diverses et offrent déjà une organisation compliquée, et cependant ils n’ont pas de système nerveux. — « Il faut donc bien, dit M. Spencer, que, par un arrangement quelconque, ces unités diverses dont est formé l’animal, tout en s’occupant chacune de sa propre subsistance en dehors de toute action directrice du reste, arrivent cependant, en vertu même de leur nature et des positions