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Faut-il admettre un acte créateur particulier pour le soufre, l’oxygène, le carbone, l’hydrogène, l’or, le fer, etc. ? Faut-il placer en chaque molécule prétendue simple de la chimie une force spéciale analogue à la « force vitale » ou à « lame » des scolastiques ? La cosmologie moderne tend plutôt à admettre que les atomes chimiques sont déjà des sociétés d’atomes, ayant leur constitution propre et inflexible. A notre avis, ils ne sont indivisibles que comme le sont les organismes fortement centralisés, par exemple le corps de l’homme : coupez un homme en deux, et vous n’aurez plus d’homme ; à ce titre l’homme est aussi un atome, mais à un autre point de vue il est toute une société.

Ces considérations nous amènent à conclure que, dans la nature, la vie est partout avec la volonté à des degrés divers, — ici latente, engourdie et tenue en suspens par un équilibre et une neutralisation d’effets, comme dans le minéral ; là plus visible et déjà éveillée, comme dans le végétal, là se possédant et se connaissant elle-même, comme dans l’animal, là enfin se multipliant et presque se créant de nouveau par un concours de volontés conscientes, comme dans les sociétés et les états. Toute action qui ne modifie que les propriétés les plus générales d’un corps, chaleur, électricité, lumière, etc., sans en modifier la constitution intime, est une action purement physique ; poussez la même action encore plus loin, par exemple échauffez un corps au delà d’une certaine limite, et vous modifierez la constitution même du corps : l’action sera devenue chimique. Si notre science était plus avancée et nos moyens d’action moins grossiers, si nous pouvions agir sur l’organisation la plus intime des corps, y produire un certain état de chaleur, d’électricité, de magnétisme, de mouvement, nous y provoquerions la sensation et nous y ferions sortir la vie ou la volonté de son lourd sommeil. Il fut un temps où tout le système solaire était en conflagration ; ce n’était qu’une masse gazeuse et en apparence toute minérale, et pourtant il y avait déjà dans ce brasier matériel la flamme de la vie, vital lampada, puisqu’il a suffi du refroidissement de la masse pour la faire apparaître à son heure. Pour quiconque n’admet pas le miracle, — c’est-à-dire pour quiconque admet la science, — la vie ne peut être métaphysiquement différente de ce qu’on appelle avec plus ou moins de propriété la matière, qui elle-même n’est qu’un ensemble de forces ou de volontés : tout est vivant, tout est organisé, tout est à la fois individu et société dans l’univers. Biologie, sociologie et cosmologie nous paraissent au fond une seule et même science. L’univers lui-même est un immense état en voie de formation, où se manifestera peut-être un jour sous la forme de la pensée et de la volonté réfléchie ce qui s’y manifesta à l’origine sous la forme de la chaleur, du mouvement et de la force spontanée.