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convenance ; il engagea les sœurs à quitter leur costume compromettant et fut envers elles d’une politesse irréprochable. Les sœurs allaient s’éloigner, lorsqu’un capitaine d’état-major arriva au galop, et prescrivit de les retenir prisonnières. L’imagination communarde avait fait des siennes, et parmi les hommes de la première armée on ne parlait que des cadavres et des instrumens de torture découverts dans les souterrains du couvent de l’Assomption. Pour protéger les pauvres religieuses contre la brutalité de ses soldats, Dombrowski, sous prétexte de les mettre en arrestation, les plaça en lieu sûr, et, pour dégager sa responsabilité, il fit adresser un rapport à Protot, délégué à la justice, qui, dès lors, restait chargé de l’enquête. Le rapport rédigé par Barillier est assez ironique : on peut reconnaître que le grand prévôt, « informé à tort ou à raison, » se débarrasse d’une commission désagréable et ne croit guère aux balivernes qu’il raconte. Quoi ! dans un couvent de femmes, des cadavres, des instrumens de torture ? Oui, le monde de la fédération avait été tellement saturé de calomnies qu’il en était pénétré. Pour lui, toutes les maisons conventuelles étaient des lieux de supplice et des lieux de dépravation ; il n’en pouvait douter ; du doigt il avait touché les preuves et saisi la vérité, car nul alors n’ignorait, ne pouvait ignorer les fameux « mystères de Picpus. »


IV. — LES MYSTERES DE PICPUS.

Jamais plus impudente mystification, jamais mensonge plus effronté ne fut offert, avec un tel concours d’intentions perverses, à la crédulité des badauds. Une maison religieuse, à la fois couvent, pensionnat, école, infirmerie et refuge, connue, presque célèbre dans toute la bourgeoisie parisienne, fut dénoncée, avec pièces à l’appui, comme un repaire de brigandage et de luxure. Le souvenir des crimes de Mingrat, de Lacolonge, de Contrafatto, la lecture des petits romans a libres penseurs, » ont pu entraîner la foule ignare a ne pas rejeter avec mépris ces calomnies malsaines ; mais que penser des membres de la commune, — Rigault, Protot, — qui les ont inventées, et que penser surtout des journalistes qui les ont propagées en les aggravant ? Cette histoire mérite d’être racontée avec quelques détails, car elle éclaire la commune et en montre le fond.

Le XIIe arrondissement eut pour maître un membre de la commune, Jean-Louis-Philippe Fenouillas, qui, ayant l’habitude et pour cause de changer souvent de nom, se faisait alors appeler