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tous les membres de la commune revêtus de leurs insignes, nous irons tous nous mettre sous la protection des prussiens en leur demandant les moyens de nous transporter en Amérique. » Il m’a été impossible de savoir si ces deux projets avaient, été discutés. Un homme qui n’a point quitté les débris de la commune, qui les a suivis jusque dans la soirée du 27 mai, m’a dit : « On a fait pendant les derniers jours tant de propositions extravagantes, il y avait partout une telle confusion et une telle manie de délibération, que je ne me rappelle plus rien de précis ; c’était comme dans une maison de fous où tout le monde aurait parlé en même temps[1]. »

Si Rastoul a pu se faire entendre, s’il est parvenu à expliquer ses projets, le second seul a eu quelque chance de n’être pas rejeté ; se rendre aux « assassins de Versailles » eût paru une profanation à ces incendiaires, et mille fois ils eussent préféré devoir leur salut à l’intervention de l’Allemagne, qu’ils espéraient et qu’ils ont sollicitée. Si une tentative collective a été faite, nous l’ignorons[2], mais nous savons que, de Saint-Denis à Montreuil, les soldats prussiens et bavarois étaient sous les armes, prêts à repousser une émigration en masse des fédérés. Ceux qui dans la journée du 27 essayèrent de forcer les lignes entre Aubervilliers et Pantin n’eurent point à se louer de l’accueil qu’ils reçurent. Par ses forfaits, la commune en était arrivée à exaspérer nos ennemis eux-mêmes. Les insurgés qui purent, se dissimulant et se cachant, tromper la surveillance des vedettes allemandes furent rares ; presque tous ils furent arrêtés, gardés en lieu sûr et remis aux autorités françaises ; la commune devait expirer là où elle avait pris naissance, là où elle avait régné et terrorisé, à Paris. Le dimanche 28 mai, tout était terminé ; la pauvre ville blessée, saignante, humiliée, à demi brûlée, s’écroulant sur elle-même, ressemblait à un damné qui s’est échappé de l’enfer.

Toutes les barricades avaient été enlevées les unes après les autres, toutes les défenses intérieures que la révolte avait dressées contre la légalité étaient tombées. Était-ce bien la fin cette fois ? Non, car le fort de Vincennes, occupé par l’insurrection, n’avait

  1. D’après Malon, cette proposition aurait été faite par Rastoul aux membres de la commune, réunis le 24 mai, à la mairie du XIe arrondissement. Voir la Troisième défaite du prolétariat français, p. 454.
  2. Dans le procès Arnold (déb. cont. 3e conseil de guerre, 12 janvier 1872) il est dit : « Les 24 et 25 mai, Arnold, muni des pleins pouvoirs des membres de la commune encore présens et réunis à la mairie du XIe arrondissement, pendant que l’Hôtel de Ville était en flammes, a tenté auprès de l’état-major prussien, à Vincennes, une démarche presque dérisoire pour arrêter la lutte. » La démarche d’Arnold est encore et avec obstination attribuée à Delescluze ; on s’appuie à tort sur la déposition d’un témoin spontané qui se trompa, en croyant avoir vu Delescluze, le 25 mai, à la porte de Saint-Mandé.