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trouvé ainsi à peu près trois cents gardes nationaux qui sont venus former la haie sur le boulevard Malesherbes moyennant une pièce de trois francs par jour. Plus tard d’autres sont venus, et un moment est arrivé où j’en avais plus que je n’en voulais[1]. » Un patriotisme qui ne tient pas devant un petit écu aurait dû éclairer les hommes du gouvernement et leur apprendre que l’insurrection n’était pas à combattre, mais à acheter.

Aussitôt que les troupes françaises, poussées en hâte sur Versailles, ont abandonné Paris à la révolte, celle-ci se tourne avec humilité du côté des Allemands et leur fait toute sorte de protestations. Grêlier, délégué du comité central au ministère de l’intérieur, déclare que le nouveau gouvernement de Paris n’a pas à se mêler des conditions de la paix, et le délégué aux relations extérieures s’empresse de notifier que l’on fait la guerre à Versailles et non point à l’Allemagne. En arriver là un mois à peine après le serment du 24 février, c’est assez misérable ; mais la commune ne devait pas s’arrêter de sitôt ; elle a bu sa honte jusqu’à la nausée. L’Allemagne n’avait qu’un signe à faire, elle était obéie, et le ministre des États-Unis, M. Washburne, qui la représentait diplomatiquement depuis la déclaration de guerre de juillet 1870, n’eut jamais à insister pour obtenir immédiatement de n’importe qui, — Rigault, Gournet, Ferré, Protot, — la mise en liberté des prisonniers qu’il réclamait au nom de leur nationalité allemande, lorraine, alsacienne plus ou moins prouvée. On ne s’en tint pas là ; des religieuses hollandaises incarcérées à Saint-Lazare furent immédiatement relâchées parce qu’elles se donnèrent pour Allemandes. A cet égard, on n’a aucun reproche à adresser aux hommes de la commune, ils respectèrent avec une ponctualité rare le droit des gens représenté par l’Allemagne, campée à Saint-Denis et installée dans les forts du nord.

Ces forts du nord tourmentaient la commune, qui eût bien voulu s’en emparer en payant, de notre poche, l’indemnité stipulée. Paschal Grousset essaya d’entamer à ce sujet une négociation à laquelle on ne répondit même pas[2]. En séance à l’Hôtel de Ville, on s’en occupa ; on adressa de nouvelles offres à l’Allemagne, qui fit la

  1. Rapp. de la com. d’enq. pari, sur le 18 mars ; dép. des tém., t. II, p. 93, éd. 1872.
  2. La Gazette de Francfort a publié le 12 avril 1871 une correspondance de Munich, dans laquelle on prétend que la commune a offert 2 millions au général von der Thann pour obtenir de lui la remise du fort de Charenton. C’est là, Je crois, un bruit calomnieux que l’histoire fera bien de ne pas accueillir. La question des forts préoccupa les gens de la commune jusqu’à la fin. Le 22 mai 1871, nos troupes étant déjà dans Paris, Alexandre Lambert, chef de la division de la presse au ministère de l’intérieur, écrit à Lefebvre-Roncier, chef d’état-major de Delescluze, pour lui annoncer que les troupes allemandes cantonnées à Dammartin ont reçu l’ordre de partir pour Metz ; il ajoute en terminant : « Que devient la question des forts ? Renseignez-vous. »