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qui, le 22 janvier 1871, disait à M. François Favre, maire du XVIIe arrondissement : « Vous devez marcher à notre tête ceigné de votre écharpe ? » — Nous l’ignorons. Le fabricant invoquait le manque d’ouvriers, la délicatesse du travail, et continuait à ne pas se presser de terminer ces ingénieux outils ; il se pressa si peu qu’il n’en put achever qu’une dizaine, qui ne furent pas livrés. — Assi avait coopéré à cette invention « révolutionnaire » en mettant à la disposition de Parisel une quantité prodigieuse d’acide prussique, Il avait découvert deux jeunes gens, chimistes habiles, qui, voulant éviter d’être incorporés dans les bataillons de marche dirigés sur les avant-postes, acceptèrent, probablement sans réfléchir, une exemption de service militaire, à la condition qu’ils remettraient à Assi quelques produits chimiques que l’on ne pouvait pas facilement se procurer, même par voie de réquisition. Le pacte fut conclu, et de chaque côté on se tint parole. La pièce suivante en fait foi : « Commune de Paris. Commission de surveillance pour la fabrication des munitions de guerre. Hôtel de Ville, le 6 mai 1871. Reçu du citoyen…. 10 grammes de bor, 5 kilogrammes de phosphore et 1 kilogramme d’asside prussique. Sept heures. Paris, le 6 mai 1871. Les membres de la commune chargés de la surveillance de la fabrication des munitions de guerre : Assi[1]. »

D’après l’opinion des hommes compétens, 10 grammes de bore et 1 kilogramme d’acide prussique représentent des quantités extraordinaires. Nul savant n’a pu comprendre à quel usage le bore devait être réservé. Les communards, il faut le reconnaître, avaient plus d’imagination que de savoir ; ils croyaient cependant être aussi en mesure de régénérer la science, et en ont conservé un sentiment de vanité qui ne les abandonne même pas devant les conseils de guerre. Le 9 août 1871, Assi répond aux questions du président ; il parle de ses longs travaux dans l’armement ; il dit avec complaisance : « J’ai eu jusqu’à trente secrétaires, » et, s’enorgueillissant de plus en plus au souvenir de ses inventions, il ajoute : « J’ai fait bien des choses qui ne sont pas ordinaires. » En effet, l’instrument de mort imaginé par Parisel, chargé avec l’acide prussique procuré par Assi, n’était heureusement pas dans la catégorie des choses ordinaires. C’était une œuvre d’une inconcevable perversité, mais c’était en même temps une œuvre d’une conception puérilement bête, et terriblement dangereuse pour celui qui aurait voulu l’utiliser. Le moindre faux mouvement eût rendu l’instrument mortel pour l’assassin lui-même.

  1. Assi a d’abord écrit 6 mars, puis il s’est aperçu de son erreur, a biffé mars et l’a remplacé par mai.