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— les petites sœurs des pauvres, — étaient l’objet ; mais on était impuissant en présence des votes de la commune. Les pauvres sœurs se dissimulaient, se déguisaient et avaient l’air un peu gauche sous les costumes d’emprunt que le soin de leur sécurité les avait engagées à revêtir.

On les chassait des maisons de secours où elles avaient soulagé tant d’infortunes, et l’on saisissait impitoyablement toutes les ressources dont elles disposaient pour leurs bonnes œuvres, car en ce temps la charité ne devait être que laïque, comme l’enseignement. Le directeur de l’Assistance publique, Treilhard, se conformant aux instructions qui lui étaient imposées, faisait impitoyablement saisir et verser dans la caisse de son administration les sommes recueillies par les sœurs et consacrées par elles au soulagement des souffrances urgentes. C’était du reste un fort honnête homme que ce Treilhard. Lorsqu’il sut à n’en pouvoir douter que les bâtimens annexes de l’Hôtel de Ville où étaient, où sont encore installés les bureaux de l’Assistance, allaient être incendiés, il enleva tous les fonds de réserve composés d’une somme de 37,440 francs qu’il cacha dans son domicile. Dès le 27 mai, il envoya sa femme prévenir l’autorité légitime, qui rentra en possession des deniers appartenant à l’Assistance. Treilhard n’en ordonnait pas moins des saisies rigoureuses : « 15 avril 1871 ; au citoyen commissaire, rue des Feuillantines, 78. Vous êtes chargé par la préfecture de prendre possession, pour le compte de l’Assistance, de toutes les sommes, fonds, titres et valeurs que vous découvrirez par une perquisition complète dans l’établissement des sœurs tenant la maison de secours, rue de l’Épée-de-Bois. Tous les objets trouvés doivent être par vous remis à la caisse de l’Assistance. » On peut croire d’après cette énumération que l’on va mettre la main sur un trésor ; on se tromperait ; ceux qui donnent toujours ne sont jamais riches. Le commissaire fait sa perquisition en conscience, il ouvre les tiroirs, vide la caisse et fouille les matelas. J’ai la quittance de l’Assistance publique : « Reçu 21 fr. 85 cent. » Ce fut là le produit de l’expédition. Les ordres donnés par Treilhard sont d’une extrême mansuétude, il se conforme évidemment et forcément à des instructions qu’il n’a point provoquées et qu’il eût peut-être préféré ne point recevoir ; mais du moins il n’est ni brutal, ni agressif, et dans sa courtoisie même il me semble que l’on peut voir percer quelque regret : « Veuillez prévenir, avec toutes les formes de convenance, les sœurs des maisons de secours des quatre quartiers du Ve arrondissement de vouloir bien vider les maisons qu’elles occupent. » C’est ainsi qu’il procède, et on doit lui en savoir gré.