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L’année républicaine se termina comme de coutume au milieu de septembre, et l’anniversaire de la république fut célébré par de grandes fêtes populaires, et avec une pompe royale dans le palais des Tuileries. On apprit en même temps que les Hanovriens, conquis par le général Mortier, avaient fait des réjouissances le jour de la naissance du consul. C’est ainsi que peu à peu, d’abord en tête de tout, et ensuite tout seul, il accoutumait l’Europe à ne plus voir la France que dans sa personne, la présentant au lieu et place de tout le reste.

Comme Bonaparte avait le sentiment de la résistance qu’il devait rencontrer dans les vieilles opinions, il s’appliqua de bonne heure et assez adroitement à gagner la jeunesse, à laquelle il ouvrit toutes les portes pour l’avancement dans les affaires. Il attacha des auditeurs aux différens ministères et donna l’essor à toutes les ambitions, soit dans la carrière militaire, soit dans le civil. Il disait souvent qu’il préférait à tout l’avantage de gouverner un peuple neuf, et il le trouvait à peu près parmi les jeunes gens.

On discuta aussi cette année sur l’institution du jury. J’ai ouï dire qu’il n’y avait par lui-même aucune disposition ; mais son conseil d’état se montra ferme sur cet article, et dans l’intention où il était de gouverner dans la suite bien plus par lui qu’avec l’aide des assemblées qu’il craignait, il se trouva obligé de faire quelques concessions à ses membres les plus distingués. Ce fut ainsi que peu à peu il fit présenter toutes les lois à ce conseil par les ministres, qu’elles furent quelquefois transformées en simples arrêtés qui s’exécutèrent d’un bout de la France à l’autre, sans autre sanction, ou bien que, présentées à l’approbation silencieuse du corps législatif, elles ne donnèrent d’autre peine que celle que les différens rapporteurs du conseil eurent de les faire précéder d’un discours qui en colorait plus ou moins la nécessité.

On établit aussi des lycées dans toutes les grandes villes de France, et l’étude des langues anciennes, abandonnée pendant la révolution, rentra dans les obligations de l’éducation publique.

Cependant on faisait de grands préparatifs pour la flottille des bateaux plats qui devaient servir à l’expédition d’Angleterre. De jour en jour on répandait davantage la possibilité, au moyen d’un temps calme, de la faire parvenir jusque sur les côtes d’Angleterre, sans que les vaisseaux pussent gêner sa marche. On disait que Bonaparte lui-même commanderait l’expédition, et cette entreprise ne paraissait au-dessus ni de son audace, ni de sa fortune. Nos journaux nous représentaient l’Angleterre agitée et inquiète, et, dans le fond, le gouvernement anglais n’a pas été exempt de toute crainte à ce sujet. Le Moniteur combattait toujours avec acharnement les