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est bien difficile de s’expliquer. Ce ne fut pas seulement « le curé, » l’homme qui officie, qui apparaît dans ses vêtemens d’or au milieu de la fumée des encens, que l’on persécuta ; ce fut l’humble religieux, ce fut le frère de la doctrine chrétienne, héroïque brancardier de nos défaites, ce fut la sœur de charité. Celle-là avait contre elle toute la séquelle des aspirantes institutrices laïques qui savent fumer la cigarette, siffler les petits verres d’eau-de-vie, qui se marient sur l’autel de la nature, réclament leurs droits politiques et écrivent intempérance avec un h. La commune, qui ne manquait pas de « bonnes amies » parmi ces Lacédémoniennes, obéit à leur injonction et jeta les filles de Saint-Vincent-de-Paul hors des écoles et hors des maisons de secours. Dans quelques quartiers populeux, le peuple même de la fédération les protégea et les défendit contre la violence de ses maîtres. Ailleurs elles firent leur petit paquet et s’en allèrent tristement. « Quand Dieu vous aura punis de votre révolte, nous reviendrons pour vous soigner. » Dans quelques hôpitaux, encombrés de malades et de blessés, les sœurs parurent tellement indispensables qu’on les garda, mais en les dépouillant de leur costume et en voulant les affubler d’une écharpe rouge en guise de ceinture. À ce sujet, j’ai découvert, parmi les papiers ramassés dans un hôpital, au moment même de la dernière bataille, une lettre fort ampoulée, mais curieuse, car elle prouve que bien des mesures adoptées contre les ordres hospitaliers n’étaient point du goût des partisans, des soldats de la commune. « Citoyen directeur, j’apprends que tu molestes les sœurs de ton hôpital. Tu abuses de la force contre des femmes, c’est malhonnête et c’est lâche. C’est plus commode d’aller se cacher dans le fond d’un hôpital que d’aller se faire casser le coco par les canailles de Versailles. La commune t’a dit de soigner des malades et non de taquiner des femmes. Elles ont raison de rejeter ton chiffon rouge, elles sont neutres, elles sont libres. Entends-moi bien, citoyen, bois tant que tu voudras le vin des pauvres, fais ta petite pelote, cela ne me regarde pas, mais par l’enfer ! ne touche pas aux femmes. Nous ne pouvons souffrir que, pendant que nous nous faisons mitrailler, elles soient en butte à tes fureurs d’ivrogne. Fais-leur quitter ton chiffon rouge dont elles ne veulent pas ; qu’elles gardent leur habit, ça les regarde et non pas toi ; sans cela tu auras affaire à moi. Je n’attendrai pas que les canailles de Versailles t’envoient digérer à Cayenne ; je viendrai de la tranchée te casser la tête, comme à un chien. » Et à son nom, qu’il signe, l’auteur de cette lettre ajoute : « Un vengeur de la femme outragée. » Plus d’un fut semblable à ce brave homme emphatique et menaçant ; plus d’un fut indigné des persécutions dont les sœurs,