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hâte ; ils transmettaient les nouvelles d’Orenbourg, confuses à distance et grossies par la terreur publique, à la cour de Pétersbourg. On s’y refusa d’abord à prendre au tragique une échauffourée de kosaks et de serfs ; le ministère de la guerre débuta par des demi-mesures, rejetant tous les torts sur ses subordonnés qui languissaient dans la disgrâce provinciale. Il crut parer à tout en envoyant sur l’Iayk des chefs mieux en faveur. On rappela de Pologne le général major Karr, officier médiocre et de vues étroites, sous les dehors sévères de la discipline germanique. Il partit avec de pleins pouvoirs pour réunir des troupes sur sa route ; on semblait ignorer à Pétersbourg que les besoins de la guerre avaient entièrement dégarni les provinces de l’est. Karr ramassa quelques recrues, une compagnie de grenadiers, et s’avança hardiment sur Orenbourg avec ces hommes exténués par une longue marche. C’était encore trop, selon lui, pour châtier des maraudeurs. — « Je crains seulement, écrivait-il au ministre, que ces brigands, instruits de mon approche, ne se dispersent avant que je puisse m’emparer d’eux. » Le 7 novembre, au milieu de la nuit, la cavalerie de Pougatchef tomba sur la tête de colonne ; comme on engageait l’action, une forte cannonade retentit sur la ligne de retraite des impériaux : c’était Chlopouche qui leur coupait la route de Kazan. Perdant toute son assurance, Karr se replia en désordre, laissant sur le terrain beaucoup de monde et sa compagnie de grenadiers, désarmée sans combat. Tandis qu’il échappait à grand’peine à la poursuite des rebelles, son lieutenant, le colonel Tchernichef, arrivait du nord à sa rencontre avec deux mille hommes et douze canons ; trompé par un guide infidèle, cet officier s’engage sur la glace du fleuve ; à cinq verstes d’Orenbourg, des cavaliers kosaks fondent sur lui des rives : ses irréguliers fraternisent avec eux, ses douze pièces tombent aux mains de l’ennemi. Quelques heures après, ses deux mille hommes étaient au camp de Berda, prisonniers ou embauchés par la révolte ; Tchernichef et trente-six officiers se balançaient aux gibets de Pougatchef. Reinsdorp, averti de l’approche du corps de secours, avait entendu le canon sans bouger ; les défenseurs d’Orenbourg en étaient à ce point de désarroi où les plus coupables faiblesses s’appellent de la prudence. Karr, en apprenant ce second désastre, perdit la tête, résigna son commandement à Freimann, et courut se cacher à Moscou : il fut cassé de ses grades et dignités.

Si toute la Russie s’était émue en apprenant le siège d’Orenbourg, ce fut bien autre chose quand elle connut l’humiliant échec de la première tentative de résistance. L’effroi n’eut plus de mesure. Avec les courriers qui portaient la nouvelle, une partie de la noblesse de Kazan s’enfuit à Moscou ; de toutes les campagnes du Volga et du