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reprit la Marseillaise, et chacun sortit de l’église en chantant : Aux armes, citoyens !

Il en fut de même dans presque toutes les églises de Paris. Les membres de la commune, qui en qualité de chefs de l’état avaient charge d’âmes, ne dédaignaient pas de venir parfois eux-mêmes éclairer le peuple et lui donner quelques notions de fraternité pratique. Si l’on en croit un rapport de police adressé le 19 mai à Théophile Ferré, délégué à la sûreté générale, Amouroux se serait rendu le 18 à une réunion publique qui se tenait dans l’église de Saint-Nicolas-des-Champs. Il prit la parole et fit voter par cinq ou six cents auditeurs les propositions suivantes : fusiller les otages sans retard ; brûler le corps de Napoléon et en jeter les cendres au vent. Il termine en disant : « Il faut faire sauter et brûler Paris dans le cas où les Versaillais entreraient dans nos murs, ce que je ne crois pas possible. Êtes-vous résolus à pousser la défense à outrance ? — Oui ! oui ! — Eh bien ! si nous sommes vaincus, périsse Paris ! qu’il brûle plutôt que retomber au pouvoir de nos ennemis[1]. » Voilà ce que l’on prêchait dans les églises pendant la commune. Le lendemain du jour où le chapelier Amouroux exhortait les futurs incendiaires, le citoyen Mortier s’occupait à la commune de la destination que l’on devait donner aux églises ; il dit : « Si la sûreté générale faisait évacuer ou fermer les églises de Paris, elle ne ferait que prévenir mes désirs. Ce que je pourrais lui contester, ce serait la fermeture complète de ces maisons, car je désire les voir ouvertes pour y traiter de l’athéisme, et anéantir par la science les vieux préjugés et les germes que la séquelle jésuitique a su infiltrer dans la cervelle des pauvres d’esprit. » Il y a émulation, comme l’on voit, parmi « ces esprits forts, » c’est à qui dira le plus de sottises. Cela eut des résultats terribles, car dans le prêtre on ne persécuta pas l’homme, on persécuta la fonction. Des fédérés entourent Notre-Dame-de-Lorette et y arrêtent un jeune vicaire nommé Sabattier. Il est conduit au dépôt près la préfecture de police, puis transféré à Mazas, et de là à la Grande-Roquette. Il est compris dans la fournée de la rue Haxo et y meurt. Parmi ceux qui l’ont arrêté, emprisonné, massacré, nul n’a jamais connu son nom.

Les églises envahies ne furent pas toujours prises sans difficulté. Il y eut bataille à Saint-Sulpice, et les femmes y furent vaillantes. L’église avait été respectée, on ne sait pourquoi, lorsque le 11 mai, dans la matinée, vers huit heures, elle fut entourée par les fédérés qui en gardèrent les portes. Le motif de cette invasion

  1. Procès Ch. Amouroux ; déb. contr., troisième conseil de guerre, 22 mars 1872.