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se seraient comparés à l’Antéchrist, étaient de simples filous qui maraudaient dans les chapelles, faisaient leurs mains dans les sacristies, et crochetaient le tronc des pauvres. Tout le butin, nous l’avons dit, a été ou aurait dû être envoyé à Camelinat, directeur de la Monnaie ; mais on ne saura jamais ce qui est resté dans la poche des réquisitionnaires, ni ce qui a été vendu aux brocanteurs.

Pour exciter la population contre les prêtres, on inventait des fables dont quelques-unes sont vraiment extraordinaires. J’ai sous les yeux un rapport tellement extravagant qu’il suffit à faire comprendre le mépris inconcevable que la commune professait pour le malheureux troupeau qu’elle entraînait à la révolte. Un garçon apothicaire nommé Vial, né à Lyon, après avoir fait régulièrement son service militaire, était venu chercher fortune à Paris en 1868. Il s’occupa d’embaumement, géra une maison de coutellerie et pendant la guerre reçut du baron Larrey une commission d’aide pharmacien attaché à l’ambulance du palais du Luxembourg. Ce n’était point un révolutionnaire. Après le 18 mars, voyant qu’à Paris l’émeute tournait à l’insurrection, il voulut aller retrouver son père, établi à Lyon. Il fut arrêté à la gare et, dit-il, incorporé de force dans le 135e bataillon fédéré. Ses aptitudes ne le poussaient pas à faire le coup de feu aux avant-postes contre les soldats français, et il obtint, — c’était facile sous la commune, — l’emploi de médecin major au 61e bataillon. Le 9 avril, à Asnières, il installa une ambulance dans l’imprimerie de M. Paul Dupont, et il assista en simple spectateur à un combat assez sérieux. Le lendemain, il a adressé aux membres de la commune un rapport détaillé sur l’organisation de son ambulance et il y dit textuellement : « Dans le sein même des obus venant de Versailles se trouvent renfermées de petites médailles en plomb, dentelées sur les bords, et portant sur l’une de leurs faces l’effigie de sainte Geneviève, patronne de Paris, et de l’autre côté Notre-Dame-de-Délivrance. » Il ajoute que : « Les balles ennemies présentent à leur surface un aspect sulfureux qui mérite un examen et une analyse approfondis avant que l’on puisse se prononcer sur la nature de leur composition. » Le même homme qui a écrit cette niaiserie considérable a été très ferme, très courageux, et a certainement sauvé l’imprimerie de M. Paul Dupont, qui sans sa résistance énergique eût été pillée et saccagée par les fédérés massés à Asnières[1].

On peut imaginer l’impression que produisaient de telles révélations sur la crédulité parisienne. Pluie d’obus, passe encore, c’était de la guerre ; mais pluie de médailles, c’était d’un

  1. Procès Vial ; déb. contr. quatrième conseil de guerre, 12 septembre 1872.