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dans la réponse adressée au saint-père le 10 juin 1878 par le prince impérial et royal, qui était alors le chargé d’affaires de l’empereur. Le prince avait proposé de s’en tenir à de vagues généralités ; M. de Bismarck remplaça son projet de lettre par une déclaration de principes, et, ne voulant pas entrer en lutte, le prince signa. Il en résulte que le maintien des lois de mai est devenu une maxime d’état, et que le règne nouveau lui-même est lié d’avance. Ceux qui prédisent que les catholiques en seront pour leurs frais de complaisance ajoutent que M. de Bismarck a toujours fait fond sur l’humaine crédulité, et qu’il s’en est toujours bien trouvé. Au surplus les nationaux-libéraux lui reviendront à la première avance sérieuse qu’il leur fera ; leurs plus grandes colères ne sont jamais que des bouderies.

Ce n’est pas là ce qui inquiète le plus, l’Allemagne a d’autres préoccupations. M. de Bismarck s’est plaint en mainte rencontre qu’il était pauvre, que l’empire avait plus de besoins que de ressources et en était réduit à mendier sa vie. Désormais, si tout marche au gré du chancelier, à la politique des déficits succédera la politique des excédons. C’est une bien belle chose qu’un excédant. Un poète a dit de la fortune :

Elle a cela de bon qu’elle est la liberté
Et que seule elle met à l’air la volonté.


Que fera M. de Bismarck de ses excédans ? On sait d’avance qu’il en fera à peu près ce qu’il lui plaira. M. de Frankenstein aura beau prendre ses précautions, il n’y a pas d’autre garantie contre l’omnipotence qu’une assemblée qui sait dire non, et le Reichstag aura prouvé une fois de plus qu’il est incapable de résister à son maître, « Dans cette demeure, il y a un fleuve d’or, » disait un ambassadeur vénitien en parlant du palais de Méhémet, grand vizir du sultan Sélim II. Et il ajoutait que Méhémet employait son or à construire des mosquées, des bains, des aqueducs et des caravansérails, où les voyageurs étaient défrayés de tout pendant trois jours. Si jamais M. de Bismarck possède un fleuve d’or, il ne bâtira ni caravansérails, ni mosquées. Le bruit court déjà à Berlin qu’on se propose d’augmenter prochainement et considérablement l’artillerie, et qu’on a mis à l’étude un projet d’organisation de quatrièmes bataillons d’infanterie. C’est en 1881 qu’expire le septennat, c’est en 1881 qu’il faudra régler de nouveau le budget militaire. Voilà qui donne à réfléchir aux députés qui réfléchissent ; aussi la politique des excédans leur est suspecte. Quand M. de Bismarck sera riche, que fera-t-il de sa richesse ? Cette question est de nature à intéresser beaucoup les Allemands, et au nord comme au midi, au levant comme au couchant, elle est fort intéressante aussi pour tous leurs voisins.


G. VALBERT.