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d’une certaine somme fixée d’avance le montant des droits de douane et de l’impôt sur le tabac soit réparti entre tous les états dont se compose l’impériale confédération, pour leur servir à s’acquitter de leurs redevances envers l’empire. Au nom des nationaux-libéraux, M. de Bennigsen proposait de supprimer ces redevances ; l’empire prendrait lui-même ce qui lui revient et se nantirait par ses propres mains, quitte à distribuer aux états l’excédant de ses recettes sur ses dépenses. C’est bien là ce que désire M. de Bismarck. Malheureusement, pour assurer les prérogatives parlementaires, M. de Bennigsen voulait que le Reichstag votât chaque année l’impôt du sel et que chaque année il fixât le taux des droits de douane sur le sel et le café. C’est à quoi M. de Bismarck ne pouvait entendre ; il a la sainte horreur des impôts mobiles et annuels, il n’a de goût que pour les taxes immuables et éternelles comme Dieu. Il a mieux aimé accorder à M. de Frankenstein des garanties fédératives qu’octroyer à M. de Bennigsen des garanties constitutionnelles. Mais on peut croire que ce n’est pas son dernier mot et qu’il rêve de ne rien accorder du tout. On lisait l’autre jour dans la plus officieuse des feuilles prussiennes, dans la Correspondance provinciale : « Les excédans des nouvelles recettes, en tant qu’ils ne seront pas employés directement ou indirectement à fournir aux dépenses fixées dans le budget impérial, seront répartis entre les états pour alléger leurs charges. De quelle manière se fera cette répartition et jusqu’à quel point les contributions matriculaires continueront de subsister pour la forme, c’est une matière sur laquelle il ne sera pas difficile de s’entendre. A en juger par le degré d’avancement des travaux préparatoires, la session sera probablement terminée dans la troisième semaine de juillet. »

S’il ne survient aucun accroc, si la prédiction de la Correspondance provinciale s’accomplit et que les catholiques fassent de nouvelles concessions ou se laissent jouer, la campagne que vient de faire M. de Bismarck sera, quoi qu’en disent les libéraux, le triomphe de sa diplomatie parlementaire. Il aura obtenu de ses ennemis, sans leur avoir rien donné, ce que lui refusaient ses amis. Sans doute il n’aura pas tout ce qu’il demande, et il en a pris son parti d’avance. Il rêvait le monopole du tabac, comme il avait rêvé le rachat de tous les chemins de fer par l’empire. Ce violent sait patienter. La commission de l’impôt sur les tabacs a rejeté unanimement le droit de licence, lequel consiste en une taxe payable par le débitant au prorata de sa vente ; il lui a paru que cet article était un acheminement au monopole. La commission chargée d’examiner le projet de loi sur la bière a remanié le texte qui lui était soumis. Cependant il est presque certain que, si l’on refuse quelque chose à M. de Bismarck, on lui accordera beaucoup. Il demande tant qu’il peut se tenir pour satisfait alors même qu’il n’obtient pas tout, et il sait que ce qui entre dans la caverne du lion a souvent de la peine à en ressortir.