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peu est une vertu chrétienne, mais dure à pratiquer dans l’habitude de la vie et surtout dans la politique.

Il faut avouer que ce qui s’est passé était bien propre à plonger les nationaux-libéraux dans la plus sombre tristesse. De toutes les déconvenues qu’ils ont déjà essuyées, aucune ne leur a été plus cruelle. Ils sont accoutumés à pâtir, mais ils sont aussi opiniâtres que prompts à l’espérance, et les espérances éternellement trompées sont le plus odieux des supplices. L’amertume qui gonfle leur cœur est excusable. C’est avec leur assistance que M. de Bismarck a fait sa constitution et organisé l’empire ; c’est grâce à eux qu’ont été votés le septennat, les codes, les lois d’exception, les mesures les plus impopulaires. Dans tous les cas embarrassans on a eu recours à leur bon vouloir, et ce recours n’a jamais été inutile. Ils se flattaient que leur dévoûment obtiendrait enfin sa récompense, que le patron de la grande maison, qui fait tant de bruit dans le monde, prenant en considération les loyaux services que lui ont rendus ses principaux commis, les associerait enfin à ses bénéfices et à la gestion des affaires. Il y a quelques mois encore, ils croyaient tenir un ou deux portefeuilles, et tout à coup ils ont vu M. de Bismarck entrer en négociation avec l’ennemi contre lequel on avait fait ensemble la campagne du Kulturkampf. Mahomet, paraît-il, annonça un jour que ses adhérens se diviseraient en soixante-treize sectes, dont soixante douze étaient destinées au feu de l’enfer et une seulement au bonheur éternel. Comme on lui demandait à quel signe on reconnaîtrait cette secte bienheureuse à laquelle est assurée la possession exclusive du paradis, le prophète répliqua : « Ceux qui seront de tout point semblables à moi, ceux-là seront mes élus. » Un prédicateur wahabite, qui contait cette histoire aux gens de Riad, termina son discours en disant : « Ceux qui sont semblables de tout point au prophète, c’est nous, gens de Riad ; par la miséricorde de Dieu, c’est nous seuls. » les nationaux-libéraux se considéraient comme les gens de Biad, et ils disaient au maître : « En qui te reconnaîtras-tu, sinon en nous ? Ne sommes-nous pas faits à ton image ? ne sommes-nous pas, comme toi, des impérialistes convaincus et des unitaires à outrance ? » Mais il leur a répondu : « Vous me faites souvent des infidélités, et je suis un dieu jaloux. Vous rendez un culte aux idoles, vous avez sacrifié aux divinités menteuses de l’économie politique et à ces autres dieux plus menteurs encore qui président aux prorogatives parlementaires. Aussi vous ai-je rejetés de mon alliance et vous ai-je vomis de ma « bouche. » Il en résulte que M. de Forckenbeck n’est plus président, que la baron de Stauffenberg n’ost plus vice-président ; MM. de Seydewitz et de Frankenstein ont pris leur place et se prélassent dans leurs fauteuils.

Cependant tout n’était pas désespéré. Les nationaux-libéraux se sont remis de leur première consternation, le ciel et M. de Bismarck