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caractère en ne relevant pas un gant qu’on me jette ; je relève le vôtre, je consens à vous répondre. Il est vrai que j’ai donné l’ordre de suspendre la vente de l’argent. Je ne vous en ai rien dit parce que vous avez dans ce moment beaucoup d’affaires sur les bras ; je me proposais de vous en parler l’an prochain. Mais si vous jugez que la besogne vous manque et si vous trouvez quelque plaisir à traiter cette question dès aujourd’hui, libre à vous, nous avons l’été devant nous. Quant à satisfaire votre curiosité en vous instruisant des intentions que nous pouvons avoir touchant la révision de la loi monétaire, je n’en ferai rien, et je vous répondrai seulement que je n’ai rien à vous répondre. Si discret que je puisse être, je ne le serai jamais assez. On interprète mes moindres paroles et jusqu’à mon silence, on en tire des conclusions, et de toute manière votre interpellation aura des conséquences dont on me rendra responsable. Chamisso raconte dans une de ses plus charmantes poésies qu’un petit juif de Lemberg rencontra un jour un gamin qui lui jeta une pierre. Il se baissa pour éviter le coup, et la pierre alla frapper contre un carreau, qu’elle brisa. On prit le juif au collet, on lui fit payer des dommages-intérêts, en lui alléguant que, s’il ne s’était pas baissé, le carreau n’aurait pas été brisé. Je suis, messieurs, ce petit juif de Lemberg, vous jetez le caillou, je l’esquive, et telle est la justice de ce monde que c’est moi qui paierai le carreau. » Cette parabole a produit sur le Reichstag la plus vive impression. Jusqu’à ce jour on croyait communément que M. de Bismarck, depuis qu’il est au monde, a cassé beaucoup de carreaux et qu’il a toujours laissé aux autres le soin de les payer.

M. de Bismarck est parti de là pour se plaindre qu’on avait pris la déplorable habitude de le rendre responsable de tout ce qui se fait ou ne se fait pas dans cet univers. — « Vous me demandez quelles sont les intentions du gouvernement de l’empire, a-t-il dit aux interpellans, je vous ferai remarquer que ce mot n’existe pas dans la constitution. De plus vous avez l’air de croire que le gouvernement de l’empire, c’est moi. Tout membre du conseil fédéral aie droit d’initiative en matière de législation. Je ne peux répondre que de moi seul et de moi tel que je suis aujourd’hui… Mais il est entendu, ajouta-t-il, que chacun m’attribue tout ce qui peut lui arriver de désagréable, et les journaux en prennent occasion pour satisfaire à mes dépens ce besoin de clabauder et de s’indigner qui leur est naturel. Ils ont besoin de matière pour cela, on se charge de leur en fournir, d’autant que nous vivons dans un temps sans événemens, in einer ereignisslosen Zeit. Il ne se fait plus que des guerres médiocres, rien n’est plus favorable aux commérages. » M. de Bismarck est difficile en fait d’événemens, et il en a le droit. Toutefois ceux que nous voyons suffisent à notre gré pour agiter la scène du monde. S’il ne se fait plus que des guerres médiocres, on a pu