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de plus en plus souveraine de la personnalité humaine dans lui vie des arts. Dès lors, sacrifiant la beauté et l’idéalité des formes, l’homme veut voir représenter les objets dans leur réalité vivante et palpable : il se plaît aux imitations serviles. S’il emprunte à l’art classique, c’est pour en tirer des combinaisons qui rentrent dans le domaine de l’agréable ou qui tombent dans une froide érudition. Le sentiment religieux est purement artificiel et ne répond plus à rien de véritable. En tout l’artiste a perdu la foi, si ce n’est en lui-même, et le voilà proclamant sa souveraineté.

Or, l’art ayant pour principe fondamental l’unité de l’idée et de la forme et l’identification de la pensée de l’artiste avec son sujet, il est clair qu’il est profondément atteint dans son essence et dans son développement lorsque ces conditions ne sont plus. Et si d’ailleurs il a manifesté sous tous leurs aspects les conceptions qui ont été la base des croyantes de l’humanité, s’il a parcouru le cercle de tous les sujets qui leur appartiennent, sa mission est terminée, et il n’a plus de raison d’exister. Or ces caractères, Hegel les reconnaît dans l’art moderne, il les devine dans l’art romantique, arrivé au point où nous le voyons aujourd’hui. Il ne trouve plus nécessaire la création capricieuse de formes qui n’expriment que des idées vieillies, indifférentes, basses ou dépourvues de sens, et il en conclut que l’art est arrivé à un moment suprême, qu’il touche à sa dissolution, qu’il va cesser de vivre.

En dépit de la vérité qu’il peut y avoir dans les faits, faut-il voir dans la conclusion dit philosophe un arrêt fatal ? Hegel en effet ne tire point de son exposé une leçon pour l’avenir ; il considère comme accomplies les destinées de l’art. Nous ne nous soumettons point à cette sentence, et cependant il nous a semblé que le jugement d’un si grand esprit ne pouvait (être négligé, et voilà pourquoi, un peu longuement peut-être, nous avons analysé la partie historique de son système et les idées qu’il en déduit. Dans notre pensée, désespérer de l’art, ce serait désespérer de l’humanité : or celle-ci est constante avec elle-même, et rien n’y périt. Tirons profit des observations d’un génie profond, si par nos efforts nous pouvons prévaloir contre les lois qui président au mouvement des faits.

Sans doute dans l’art un idéal collectif est ce qui témoigne le mieux de la valeur d’une époque. Mais si l’idéal disparaît comme fait général, il ne peut défaillir comme fait particulier. Il y a toujours des esprits privilégiés pour recueillir les rayons de beauté épars dans la nature ou pour profiter des indiscrétions de la réalité. Le réalisme est un système, mais ce n’est pas la vie. L’analyse distingue les élémens qui la constituent ; les écoles philosophiques