Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recours à aucun droit envers lui. Je lui laisse sa plaine et entière liberté. Salut. » Ces deux actes ont été libellés par un expéditionnaire, — irrégulier, — de la mairie. Il y a de la dignité ; on supprime le mot fraternité dans le protocole officiel ; salut, il faut le reconnaître, est un peu sec, même pour des époux qui se disent un éternel adieu ; si Vermorel avait été là, il aurait pu leur indiquer sa formule habituelle, — et un peu niaise pour un homme d’esprit : — cordialités républicaines.


II. — LA LIBERTE DE CONSCIENCE.

Vulgarisation de la propriété par le vol, suppression du droit d’exprimer sa pensée, expansion de la liberté des mœurs, ce sont là les conséquences naturelles de la commune ; cela poussait naturellement sur elle comme des champignons vénéneux sur du bois pourri. Il ne faut voir là cependant que des accessoires sans gravité ; son objectif sérieux fut ailleurs, il fut dans l’église qu’elle voulut prendre corps à corps et détruire, malgré la déclaration qu’elle avait introduite dans sa proclamation du 16 avril : « Les droits inhérens à la commune sont : la garantie absolue de la liberté individuelle et la liberté de conscience. » La commune représentait, et se faisait gloire de représenter, « la libre pensée » parvenue au pouvoir et n’admettant, a priori, qu’un gouvernement fondé sur la méthode scientifique et expérimentale. Le lecteur sait déjà, sans qu’on ait à le lui prouver, que les hommes de la commune étaient, sauf exceptions singulièrement restreintes, d’une ignorance rare, et qu’ils n’avaient guère expérimenté que les diverses qualités de bières vendues dans les brasseries. Mais cela n’importait guère ; ils appartenaient à cette secte stérile à laquelle l’excès de l’opinion suffit, car une âme véritablement révolutionnaire sait et peut pourvoir à tout. C’est pourquoi ils s’imaginaient très sincèrement qu’ils étaient de taille à résoudre sans difficulté, par une sorte d’inspiration d’en bas, tout problème politique, économique, religieux ou stratégique qu’ils rencontreraient sur la route de leur apostolat humanitaire. Il fallut déchanter quand on fut installé à l’Hôtel de Ville et que l’on se trouva en présence de difficultés d’autant plus aiguës, d’autant plus nombreuses que la situation générale constituait à elle seule une difficulté presque insurmontable. Le fil fabricando faber est vrai en toute chose ; on apprend même à être intelligent, ou du moins à se servir de son intelligence. Comme ce René Chrétien dont nous parlaient nos grand’mères, qui savait tout et n’avait jamais rien appris, les hommes de la commune ne doutaient de rien.