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rien ; elle entrera dans une galerie ou dans un musée, mais elle ne peut être présentée aux fidèles comme un objet de piété. La théologie, le dogme inflexible, les écritures, les actes des apôtres et des martyrs, les faits consignés dans l’histoire de l’église et des saints, voilà le domaine de l’art chrétien qui ne saurait se passer de la plus rigoureuse orthodoxie. Le reste peut être un sujet de pieuse émotion, presque d’édification, mais ce n’est point un enseignement. Ce qu’il faut reconnaître, en un mot, c’est que la peinture religieuse et la peinture historique doivent avoir, celle-ci un caractère doctrinal, celle-là une autorité documentaire, dont la peinture de genre est libre de se passer.

Cela dit, n’éprouve-t-on pas une impression touchante devant le Christ appelant à lui les affligés, que nous présente M. Maignan ? Jésus, comme un roi de douleur, est assis, au milieu du tableau, sous un baldaquin aux draperies sombres. Il lève les yeux au ciel, il implore son père en montrant ses plaies saignantes. A ses pieds sont groupées les plus grandes douleurs humaines, celles de la famille, représentées par une mère qui pleure sur un berceau vide ; celle de la patrie figurée par un jeune soldat qui tombe mort avec son épée brisée ; celle de notre vie à tous personnifiée par la foule des désespérés et par un vieillard qui survit aux siens. L’exécution a du relief et une animation passionnée. M. Maignan semble avoir à la fois agrandi sa manière et rendu son pinceau plus frémissant ; il se rapproche ainsi de M. Humbert et vient former avec ce jeune peintre et M. Lévy un groupe des plus sympathiques. A côté de ces artistes, si ardens à rendre la forme expressive, il y a des mystiques qui font retraite dans le domaine du sentiment et qui, déchargeant l’idée de son fardeau corporel, rendent la matière transparente pour mieux laisser voir l’esprit. Cela suffit à faire comprendre ce qui manque à leurs ouvrages, mais non le charme qui réside en eux. Ce charme s’explique mal avec des mots, et la peinture seule le dégage. Il faut voir les tableaux de M. L.-O. Merson, son Repos en Égypte surtout, pour bien entrer dans l’ordre des jouissances délicates qu’un pinceau est capable de faire naître lorsque, s’arrêtant volontairement dans la recherche de la forme, il s’en tient à une suffisance élégante après avoir rencontré la suavité. Jacob chez Laban, par M. Lerolle, est aussi une œuvre d’un sentiment très pur, mais dans laquelle l’exécution a plus de force intentionnelle. Nous aimons cette grave et douce pastorale. L’antique Orient n’y revit point, grâce à des recherches ethnographiques ; ce qui touche ici c’est une simplicité toute primitive et une noblesse patriarcale qui sont des anciens jours, et c’est par là que la scène est orientale et biblique. Quant à l’Orient pour